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1930, l'Amérique de l'Ere du jazz se réveille avec la gueule de bois après le krach boursier de 1929. Cinq millions de personnes sont au chômage. Les files d'attente s'allongent à la soupe populaire. Dans tout le pays, les citoyens luttent contre le désespoir et le cynisme.
A Hollywood, l'industrie du cinéma tente de surmonter une période de transition chaotique. Les studios et les patrons de salles ont dépensé des millions pour passer du muet au miracle technologique du cinéma parlant. La franchise des dialogues truffés d'argot attise encore les protestations des détracteurs d'Hollywood pour qui le sexe et la vulgarité s'amplifient au cinéma.
Les plaintes sur les films ne sont pas une nouveauté. Huit ans plus tôt, en 1922, deux scandales : le procès pour homicide involontaire du comique Fatty Arbuckle et le meurtre non résolu du réalisateur William D. Taylor ont assis l'image d'Hollywood comme antre du vice.
Pour éviter la censure gouvernementale, les studios créent un organisme d'autorégulation des pratiques à Hollywood, la Motion Picture Producers and Distributors of America, la MPPDA. Ils mettent à sa tête un homme à la moralité irréprochable, l'ancien ministre des Postes, Will Hays.
"Aucune histoire écrite pour le cinéma n'est aussi spectaculaire que l'histoire du cinéma lui-même." Will Hays.
Will Hays était membre du cabinet de Warren G. Harding, c'est le candidat idéal pour l'industrie du cinéma. Il est presbytérien, ne fume pas, ne boit pas. Il est recruté par Hollywood avec un salaire de star et reçoit l'ordre de diriger la MPPDA, de régler les problèmes, de vendre un Hollywood propre au public américain. Et d'utiliser ses talents de lobbyiste pour s'assurer que la législation anti-Hollywood, surtout le contrôle gouvernemental et la censure, soient réduits au strict minimum.
"L'avenir du cinéma est aussi long que tous les lendemains." Will Hays.
"Servir autrui est l'engagement suprême d'une vie." Will Hays.
Hays va être le chien de garde de l'industrie et son représentant. Il va pouvoir arrêter les choses avant qu'elles ne dégénèrent. Cela va aussi s'appliquer au contenu des films. Will Hays n'a aucune visée moralisatrice, il veut simplement qu'Hollywood fonctionne sans accroc. Mais Hays est installé loin d'Hollywood, à New York. Et au cours des années 20, les réalisateurs refusent de rentrer dans le droit chemin et tournent des fantaisies chargées de passion païenne. Dans les films muets, il arrive qu'on voie des femmes dévêtues, nues ou à demi nues, comme ça, en passant. Il y a une liberté incroyable et Hays ne fait rien.
En 1927, il est mis à la tête d'un nouveau comité de censeurs choisis par Hollywood, le Studio Relations Committee. Mais des films comme Madam Satan (Madame Satan, 1930) de Cecil B. DeMille prouvent que les réalisateurs font peu de cas de cette chasse au péché. Cecil B. DeMille met carrément en scène une orgie, il y a une soirée costumée bizarre dans un zeppelin.
Mais en 1930, le jour du Jugement approche. Hollywood fait face à des menaces d'intervention gouvernementale. Les dirigeants de studios dont Irving Thalberg à la MGM, cherchent à tout prix une solution. Ils sortent de leur chapeau un nouveau guide de la censure. "Le Code de réalisation des films parlants, synchronisés et muets." est proposé et rédigé par deux critiques d'Hollywood. Martin Quigley, éditeur catholique du Motion Picture Herald et le père Daniel Lord, prêtre jésuite et consultant à Hollywood. Le Code dit qu'on peut montrer certaines situations, des situations sexuelles, d'adultère, etc mais seulement dans la mesure où c'est motivé par l'intrigue. Et on ne peut jamais les montrer comme honorables, acceptables, morales et jamais dans des détails susceptibles d'exciter le public. C'est leur plus grande peur, que ces pauvres gens dans les salles gigotent, frétillent et rougissent.
Tous les grands studios jurent de suivre le Code que Will Hays et le comité devront faire respecter mais c'est une vaine promesse. Pour le Hollywood de l'après-Dépression, le salut ne sera pas obtenu avec des contes moraux positifs mais en se vautrant dans le péché.
Le 19 avril 1930, la MGM sort le premier film à mettre à l'épreuve le nouveau Code. Une oeuvre qui va scandaliser les conservateurs : The Divorcee (La Divorcée) avec Norma Shearer, épouse du producteur du film Irving Thalberg. Shearer est une femme qui rend à son mari infidèle la monnaie de sa pièce en couchant avec son meilleur ami. Irving Thalberg était pourtant l'un des auteurs du code, l'encre n'était pas encore sèche et il tentait déjà de faire passer un film qui violait ce Code...
En ne condamnant pas son héroïne, The Divorcee défie ouvertement la politique du Code en matière d'adultère. La MGM se justifie en disant que le film traite sérieusement du divorce. Jerry Bernard Martin, le personnage de Shearer, mène une vie de plaisir, avec beaucoup d'aventures mais ça ne lui plait pas et à la fin, contrairement au roman d'Ursula Parrott dont c'est tiré, elle retourne avec son mari.
The Divorcee vaut un Oscar à Norma Shearer et remporte un gros succès. Le message est clair à Hollywood : avec ou sans Code, le sexe reste le sujet numéro 1 au cinéma. Les femmes avaient une grande liberté sexuelle avant le Code qu'elles expriment encore...
Dans Free Soul (Ames libres), Shearer est la fille d'un grand avocat qui a une relation sexuelle avec le gangster Clark Gable. Infligeant un nouveau camouflet à Hays et au comité, Irving Thalberg passe outre l'ordre de couper cette scène provocante. Will Hays n'a pas les pleins pouvoirs, il doit marchander avec les studios qui s'en tirent toujours à bon compte.
Après les succès de la MGM, la Warner riposte avec le drame Illicit. Le film présente la star montante Barbara Stanwyck dans une nouvelle histoire osée de sexe hors mariage. Stanwyck joue une femme qui résiste à la demande en mariage de son amant. Au lieu de ça, elle préfère profiter du plaisir sexuel avant d'aller à l'autel. L'amour, c'était dans les années 20 ; là, en pleine Dépression ça semble fou, ce n'est plus envisageable mais les cinéastes du film passent la censure, traitant ça judicieusement.
Dans Possessed (Fascination, 1931), Joan Crawford et Clark Gable partagent des années de bonheur conjugal sans prendre la peine de se marier...
Dans plein de films du début des années 30, on retrouve le thème de la femme entretenue ou de la mère célibataire et on se rend compte que les moeurs sexuelles étaient relâchées à cette époque.
Les films Pré-Code offrent aux actrices certains de leurs plus beaux rôles comme dans le drame de la Warner, Three on a Match (Une allumette à trois, 1932). C'est un mélodrame parfois sordide sur trois femmes qui se rencontrent enfants dans un orphelinat, passent à l'âge adulte et se retrouvent ensuite. Le personnage le plus fascinant est celui d'Ann Dvorak, femme au foyer qui s'ennuie, qui quitte son mari, son foyer et son fils de quatre ans pour une débauche de sexe et de drogue. Alcoolisme, kidnapping, violence sont au rendez-vous. Comme de nombreux films Pré-Code, celui-ci envoie un message ambigu. Il se repait de chaque déviation de son héroïne mais la transforme en figure tragique qui se rachète par un acte sacrificiel pour sauver son fils kidnappé.
A la ville comme à l'écran, 1931 est l'année du gangster. Les films relatent les exploits des braqueurs de banque comme John Dillinger et Charles "Pretty Boy" Floyd, présentés par certains comme des héros modernes. Ils reflètent un mécontentement contre l'ordre établi, le sentiment que les institutions nationales ne sont pas administrées pour le bien du peuple.
Aux Etats-Unis, le chômage touche sept millions de personnes. La fréquentation des salles chute. Pour la première fois, les studios perdent de l'argent. Ils font faillite les uns après les autres et ils se sentent particulièrement vulnérables. Les considérations économiques commencent à inciter les studios à dépasser les bornes.
Pour attirer le public, Hollywood produit en série des drames sociaux tirés de faits divers qui reflètent l'humeur sombre de l'époque. Des films qui critiquent l'autorité et montrent les gangsters comme des antihéros fourvoyés.
En 1931, The Public Enemy (L'ennemi Public) propulse au firmament James Cagney, interprète du bootlegger violent Tom Powers. La Warner défie une nouvelle fois les avertissements de Will Hays et son équipe du Studio Relations Committee.
Ces films extrêmement spectaculaires sont de gros succès au box-office mais ils semblent glorifier les criminels. Ils montrent des voyous qui ont des femmes, l'argent et le succès.
Quand The Public Enemy sort, en avril 1931, Will Hays est inondé de protestations des Filles de la Révolution Américaine, des Chevaliers catholiques de Colomb et d'autres groupes outrés par ces images crues de violence. Il y a une peur réelle dans certains cercles, que ces films incitent les jeunes à emprunter la voie du mal. Rien n'est plus tentant que le fruit défendu. Les censeurs mettent alors des textes moralisateurs au début des films pour dire que ces gangsters sont un fléau et surtout pas des héros. Ca ne marche pas, ça n'a jamais marché et ça ne marchera jamais.
The Public Enemy est l'un des nombreux films remontés par les bureaux de censure des Etats, prompts à intervenir pour adapter les films au public local. Quand un film passait au bureau de censure du Kansas, s'il y avait une scène avec de l'alcool, elle était coupée aux ciseaux. Les chutes étaient parfois jetées et la copie était inutilisable ailleurs. Ca coutait des millions de dollars par an à l'industrie depuis le milieu des années 20.
A la suite de The Public Enemy, la MGM sort son propre grand film de gangsters. The Beast of the City (La Bête de la Cité, 1932) avec Walter Huston, Wallace Ford et Jean Harlow, dépeint les batailles des forces de l'ordre moderne contre les gangsters, l'alcool et la corruption policière. Le film est censé honorer les policiers. Mais dans la fusillade finale, tous les personnages principaux sont massacrés. Le film est plus source de désespoir que d'inspiration. The Beast of the City et quelques autres films de la MGM prônent quasiment l'autodéfense. Ils encouragent vraiment les gens à se dire : puisque les forces de l'ordre ont prouvé leur incompétence et leur corruption, il faut faire justice soi-même et anéantir les fauteurs de troubles.
A la Warner, un drame social va avoir plus d'impact et ouvrir une nouvelle voie. I am a fugitive (Je suis un évadé, 1932), avec Paul Muni, raconte l'histoire vraie d'un ancien combattant arrêté à tort qui subit une torture physique et morale dans un bagne du Sud. Le film de Mervyn LeRoy montre une Amérique où les pauvres sont impuissants et où la justice ne triomphe pas toujours. Le lieutenant de Will Hays, Jason Joy, exhorte la Warner à retirer les scènes de passage à tabac de peur qu'elles offensent le Sud. Le studio tient bon. Les scènes restent. Triomphe critique et commercial, I am a fugitive entraîne même un changement social. Dans l'Etat de Géorgie où l'histoire vraie a eu lieu, les autorités acceptent de retirer les chaînes aux bagnards.
Quoi qu'il en soit, la Warner est la société qui produit les films les plus sociaux. Ils sont débordants d'énergie. Même les films les plus sombres sont rapides.
Dans Night Nurse (l'Ange blanc, 1931), Barbara Stanwyck combat un corps médical corrompu, une mère négligente et un chauffeur meurtrier, interprété par Clark Gable, pour sauver deux petits héritiers qu'on laisse mourir de faim. C'est le film Pré-Code par excellence, tout y est : des personnages cyniques, des dialogues incisifs qui font avancer l'intrigue, des enfants maltraités, l'alcoolisme, un homme qui bat une femme, une femme qui bat un homme. Dans un rebondissement typique du Pré-Code, Stanwyck sauve la mise grâce à un charmant bootlegger qui s'occupe du personnage de Gable. Définitivement.
En 1933, le Code de Production est devenu la règle la moins respectée depuis la Prohibition. Le problème étant que Will Hays et son service sont salariés des studios, ils sont payés par l'industrie du cinéma pour être son chien de garde.
Une infraction au Code est particulièrement répandue en 1933. L'homosexualité est illégale dans la majeure partie du pays. Elle est aussi proscrite par le Code sous l'euphémisme de "perversion sexuelle". Les personnages gays et lesbiens ne sont pas pour autant absents. L'homosexualité masculine se manifeste sous des traits d'humour tandis que l'homosexualité féminine fascine, est plus subtile. Elle finit par avoir un rôle plus grand que les gays.
Quand la MGM annonce que Garbo va interpréter la reine Christine, la monarque suédoise du 17ème siècle, dont la bisexualité est un fait historique, Will Hays prévient qu'aucune allusion au saphisme ne sera tolérée. Quoi que dise Hays, la MGM et le réalisateur Rouben Mamoulian ont d'autres intentions... Le comité demande aussi qu'une réplique blasphématoire soit coupée dans la scène qui suit une nuit d'amour hétérosexuel mais il n'en sera rien. Ce film va marquer un tournant dans l'histoire de la censure. L'homme chargé de contrôler ce film est le nouveau responsable du Studio Relations Committee, un fervent catholique nommé Joseph Ignatius Breen.
Breen est un ancien journaliste, responsable des relations publiques de la MPA. Il a été recruté car Hays avait besoin d'un espion mais Hays ne s'est pas rendu compte qu'il avait engagé un fanatique. Pour Breen, tous ces pêcheurs corrompent l'Amérique. Il veut promouvoir les règles morales et les interdits sexuels de l'Eglise catholique dans les films.
Au début, les patrons des studios font fi de Breen comme de ses prédécesseurs. Quand il exige des coupes dans Queen Christina (La Reine Christine), la MGM obtient l'agrément pour le film sans changements en le projetant à un jury de la MPPDA.
Trois mois après sa défaite sur Queen Christina, Joseph Breen comprend ce qu'il en est après une autre violation flagrante du Code dans la comédie musicale de la Warner Wonder Bar (deux hommes dansant ensemble à un bal). Quand Breen appelle Jack Warner pour protester contre le film, Warner refuse de prendre ses appels. Cet accrochage confirme l'opinion de Breen sur le studio et son film que Breen qualifie de "vulgaire, bas, truffé de bons mots à double sens et d'obscénités."
En 1934, Joseph Breen sait qu'Hollywood est au mieux indifférent à sa volonté d'expurger les films. Les studios ne feignent plus d'utiliser le sexe pour raconter des histoires à valeur morale. Mais le croisé refuse de se laisser intimider, même par Tarzan. Breen est prompt à rejeter le film de la MGM de 1934, Tarzan and Mate (Tarzan et sa compagne). Même si le Code interdit la nudité, il est clair que la doublure de Maureen O'Sullivan n'a sur elle que la caméra...
Pendant des années, les réalisateurs ont contourné l'interdiction en utilisant le pouvoir de la suggestion. Dans The Common Law (1931), Joel McCrea interprète un peintre américain à Paris. Constance Benett est son modèle et sa maitresse... Le Code dit cependant explicitement que "La nudité n'est pas permise en fait ou en silhouette." Pourtant, durant la période comprise entre mars 1933 et le 1er juillet 1934, beaucoup de films ont des scènes avec des silhouettes de personnes nues. Il y a également beaucoup de scènes de déshabillages comme dans Dr Jeckyll and Mr Hyde (Dr Jeckyll et Mr Hyde, 1931) et pour la censure, ces scènes ne servent qu'à émoustiller le public, ne faisant pas avancer l'intrigue.
Parfois, la nudité est dans l'esprit de celui qui regarde, il suffit de la suggérer par des tenues provocantes. Pour cela, personne ne va plus loin que Busby Berkeley, le chorégraphe génial de la Warner. Il fait du corps féminin sa spécialité artistique dans des films comme 42nd Street (42ème rue, 1933). Le mépris de Berkeley pour les censeurs est explicite dans deux comédies musicales Pré-Code, dont le film de 1933, Prologues. Dans l'univers de Berkeley, la censure est simplement synonyme d'hypocrisie mais les censeurs comme Joseph Breen sont beaucoup plus coriaces et ces temps de laisser-aller à Hollywood touchent à leur fin.
En 1934, les tensions entre les réalisateurs et le comité de Will Hays s'intensifient encore. Le lieutenant le plus dur de Hays, Joseph Breen, est furieux contre les "films qui promeuvent le vice", des films où le sexe est une marchandise échangée contre le pouvoir ou le profit. De Safe in Hell (1931) au Cas de l'avocat Durand, de nombreux films abordent les liens entre sexe, argent et pouvoir. Dans Employees' Entrance de 1933, c'est au tour de Loretta Young d'être exploitée par un patron de magasin tyrannique interprété par Warren William, un acteur parfois sous-estimé mais au talent indéniable. Quelques mois après avoir sorti Employees' Entrance, la Warner donne à la même intrigue un tour féministe. Dans la comédie romantique Female (1933), Ruth Chatterton joue une brillante patronne d'usine automobile aussi habile dans l'entreprise que dans l'alcôve. Le soir, son sérieux de patronne cède la place aux jeux de la prédatrice qui fait son choix parmi ses employés masculins. Une fois de plus, Hays est horrifié par le film. Pour lui, le personnage de Chatterton affiche "un appétit sexuel trop nettement indiqué". La Warner sort le film sans changements.
La Warner n'est pas seule à prouver que le vice fait des entrées. Paramount exploite cette mine d'or avec Mae West. Avec elle, le sexe est célébré et tourné en dérision. A la MGM, Jean Harlow a accedé au statut de superstar avec des rôles de femmes libérées utilisant sans vergogne leur corps pour survivre et prospérer.
Face à la censure, aucun film d'Harlow ne soulève un plus grand tollé que Red Headed Woman (La belle aux cheveux rouges, 1932). Harlow y joue une arriviste aux moeurs légères qui brise le mariage de son patron, se fait épouser par lui et le nettoie. Harlow est la femme du Pré-Code par excellence ! Les critiques catholiques sont outrés, le personnage d'Harlow passe d'homme en homme... Truffe de plomb son ex-mari mais elle n'est pas punie. Le public afflue pour voir ce qu'un critique qualifie de "film le plus dépravé jamais sorti d'Hollywood"
Pour ne pas être en reste, la Warner se hâte de tourner sa propre version de Red Headed Woman. Peut-être le film le plus lascif et tapageur de toute l'ère du Pré-Code.
Baby Face (Liliane, 1933) est tiré d'une histoire de Darryl F. Zanuck. Barbara Stanwyck y incarne une provinciale cynique qui va à New York et couche pour arriver au sommet. Sans aucune surprise, Joseph Breen exige quatre minutes de coupes et de changements dans Baby Face. Il déplore que "nulle part, l'héroïne n'est dénoncée pour sa façon éhontée d'utiliser les hommes." Breen essaye d'édulcorer le contenu et les personnages sordides du film mais le public n'est pas dupe. "Hourra pour le péché" écrit le Liberty Magazine. "Si vous croyez qu'il ne paye pas, regardez Barbara Stanwyck, qui pèche pour arriver au sommet de la plus grande banque de Manhattan"
Avril 1934. Après seize mois de présidence de Franklin D. Roosevelt, les américains commencent à éprouver un sentiment oublié : l'espoir. La stabilité économique semble possible grâce au New Deal de Roosevelt. En 1934, il y a aussi de bonnes nouvelles à Hollywood. Le nombre d'entrées a retrouvé son niveau d'avant la Dépression mais il y a du changement dans l'air. La bataille sur la censure atteint un point critique. Beaucoup de spectateurs ont un mouvement de recul devant certains films, devant ces sujets prétendument "chic, urbains, sophistiqués" dont on les abreuve. Les groupes religieux, les Etats, les groupes féminins, les groupes de parents, sont excédés contre cette décadence venant d'Hollywood. Sans compter qu'il existe à l'époque un antisémitisme assez nauséabond à l'époque et que beaucoup de producteurs, réalisateurs et scénaristes sont juifs. Les détracteurs crient au complot juif pour sacrifier les valeurs chrétiennes...
Convaincu que les studios n'écouteront que le box-office, Joseph Breen passe des mois à orchestrer discrètement la fronde contre Hollywood parmi les 20 millions de catholiques du pays. La fronde catholique atteint un point culminant en avril 1934 avec le ralliement d'un nouveau groupe : la légion de décence catholique. En un mois, plus de trois millions de membres jurent de condamner totalement "ces films salaces qui corrompent les moeurs publiques et créent une hystérie sexuelle dans le pays." Si un film est condamné par la légion de décence catholique, c'est alors un péché pour un catholique d'aller le voir. A la messe du dimanche, une carte est signée et il faut jurer après le sermon de ne pas aller voir les films concernés.
En mai 1934, la Légion organise un boycott de tous les films projetés à Philadelphie. Hollywood finit par agiter le drapeau blanc et demande l'aide de Breen pour mettre fin au boycott. Breen exige que le Code de Production de 1930 soit rigoureusement respecté et désormais, les films ne se feront que si les scénarios sont approuvés avant le tournage.
Joseph Breen réussit à pousser Will Hays et la MPPDA à créer une nouvelle entité : la Production Code Administration, la PCA. Ce nouveau bureau situé à Hollywood prendrait le Code de 1930 et le ferait appliquer à la lettre pour chaque nouveau film.
Obligé de se soumettre, la MPPDA nomme Breen à la tête de la nouvelle administration. Breen fait également un ajout important au Code de Production. Désormais, le mal dans les films doit être identifié et pleinement puni. Il est également interdit de mettre en doute ce que Breen appelle "l'autorité dûment constituée"
Quelques réalisateurs chevronnés refusent d'accepter sans se battre. Quand la PCA exige de nouvelles prises sur la comédie de la MGM, Forsaking All Others (Souvent femme varie, 1934), le réalisateur W. S. Van Dyke répond à Breen personnellement... avec son poing. Il a mis Breen au tapis dans un bar mais Breen gagne tout de même la bataille. Forsaking All Others est retourné et remonté. Même la misère est montrée différemment après 1934, elle est moins... réelle.
Si les studios veulent ressortir des films réalisés avant l'application du Code, ils ne peuvent le faire qu'à la condition de couper les scènes choquantes sur les négatifs.
Quand Jack Warner essuie le refus de ressortir la comédie osée de 1933 Convention City (La folle semaine), le studio prend la mesure la plus radicale qui soit : le film est détruit.
Les remakes sont souvent complètement différents des originaux Pré-Code. En 1929, Jeanne Eagles commettait un meurtre en toute impunité dans The Letter (La lettre). Le film était fidèle à la nouvelle de Somerset Maugham qui l'avait inspiré. Mais Bette Davis a moins de chance dans le remake de 1940. Sous l'oeil vigilant du bureau de Breen, le personnage doit maintenant payer ses péchés de sa vie.
Certains critiques jugent l'application du Code positive. Pour eux, ses restrictions forcent les réalisateurs à être plus subtils et inventifs.
Joseph Breen reste à son poste, membre accepté de l'élite d'Hollywood, jusqu'à sa retraite en 1954. A cette date, le Code qu'il a farouchement protégé 20 ans durant, montre des signes d'effritement. En 1968, le code obsolète est remplacé par le système de classement du MPAA.
Pendant un temps, le cinéma du Pré-Code semble oublié. Mais finalement l'iconoclasme de ces films, leur énergie et leur sexualité débridée toucheront une nouvelle génération. A la fois histoire et littérature de gare, le cinéma du Pré-Code éclaire un chapitre agité du XXème siècle avec ses récits faits de malaise social et de libération sexuelle.
En conclusion, le réalisateur Mervyn LeRoy l'avait dit : "C'était la plus belle époque d'Hollywood et c'était le pied d'en être !"