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Titre original : Gaslight Sortie US : 1944 (11 Mai) Durée : 114 min (1 h 54) Langue : Anglais Metro-Goldwyn-Mayer (MGM) Noir et Blanc
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Le CastingCharles Boyer ... Gregory Anton Ingrid Bergman ... Paula Alquist Anton Joseph Cotten ... Brian Cameron Dame May Whitty ... Miss Bessie Thwaites Angela Lansbury ... Nancy Oliver Barbara Everest ... Elizabeth Tompkins Emil Rameau ... Maestro Mario Guardi Edmund Breon ... Gen. Huddleston Halliwell Hobbes ... Mr. Muffin Tom Stevenson ... Williams Heather Thatcher ... Lady Dalroy Lawrence Grossmith ... Lord Dalroy Jakob Gimpel ... Le pianiste Gary Gray ... Le garçon dans le parc Terry Moore ... Paula à l'âge de 14 ans |
Equipe du filmRéalisateur : George Cukor Scénaristes : Patrick Hamilton, John Van Druten, Walter Reisch et John L. Balderston Producteurs : Arthur Hornblow Jr. Musique : Bronislau Kaper Image : Joseph Ruttenberg Montage : Ralph E. Winters Son : Douglas Shearer Direction Artistique : Cedric Gibbons Décors : Edwin B. Willis Costumes : Irene Maquillage : Jack Dawn Effets spéciaux : Warren Newcombe Département d'Art : William Ferrari et Paul Huldschinsky |
Deuxième moitié du XIXème siècle, encore enfant, Paula Alquist a quitté le quartier de Londres où sa tante, une cantatrice célèbre qui l'a élevée, a été assassinée par un étrangleur. En Italie, devenue adulte, elle tombe amoureuse du pianiste de son professeur de chant, Gregory Anton. Après leur mariage, Gregory convainc Paula de retourner habiter dans la maison de sa tante. Là, avec la complicité tacite d'une domestique, il l'isole de tout contact humain, la tourmente, la persécute, dissimulant par exemple des objets qu'il l'accuse ensuite d'avoir perdus.
Peu à peu, il parvient à la persuader qu'elle est folle. La nuit, il la laisse souvent seule et terrorisée. Ne sachant si son imagination est cause de ce supplice, elle entend chaque fois qu'elle est seule des pas au-dessus d'elle à l'étage condamné de la maison.
En réalité c'est Gregory lui-même qui, prétendant aller travailler à ses compositions musicales dans le studio qu'il a loué, fait le tour du pâté de maisons, rentre par la maison voisine et passe la nuit à fouiller dans les affaires de la tante de Paula, à la recherche de ses bijoux d'une valeur fabuleuse. Ces bijoux l'obsèdent et il n'avait pu les trouver après avoir assassiné, pour s'en emparer, la cantatrice. Il les découvre enfin, parmi des pièces sans valeur, cousus sur une robe de scène de la chanteuse. Nul doute que Paula subirait le même sort que sa tante si la Providence ne veillait sur elle en la personne de Brian Cameron, un détective de Scotland Yard, amoureux, quand il était enfant de la cantatrice.
Paula devra son salut à sa curiosité, à sa ténacité et au tendre sentiment qu'il lui porte. Il lui apprendra que Gregory est déjà marié à Prague et saura le réduire à l'impuissance. Brian et Paula couleront ensemble des jours heureux.
Deux Oscars en 1945 :
- Oscar de la meilleure actrice pour Ingrid Bergmann
- Oscar de la meilleure direction artistique et de la décoration intérieure pour Cedric Gibbons, William Ferrari, Edwin B. Willis et Paul Huldschinsky
Cinq autres nominations aux Oscars en 1945
- Nomination du meilleur acteur pour Charles Boyer
- Nomination du meilleur second rôle féminin pour Angela Lansbury
- Nomination de la meilleure photographie (noir et blanc) pour Joseph Ruttenberg
- Nomination du meilleur film pour Arthur Hornblow Jr.
- Nomination du meilleur scénario pour John L. Balderston, Walter Reisch et John Van Druten
- Golden Globes de la meilleure actrice pour Ingrid Bergmann en 1945
- Sortie française le 1er Janvier 1947
- Gaslight est à l'origine une pièce de Patrick Hamilton. Une première version cinéma avait été réalisée en 1939 en Grande-Bretagne par Thorold Dickinson avec Anton Walbrook et Diana Wynyard. Egalement intitulé Gaslight, ce film est aussi connu sous les titres Angel Street et The Murder in Thornton Square. Au moment de lancer sa propre version, la MGM a non seulement acheté les droits, mais aussi tenté de détruire toutes les copies du film anglais. Le studio n'est toutefois pas parvenu à ses fins...
- En 1944, alors que George Cukor réalise "Gaslight", Jacques Tourneur signe un film à la thématique (une femme terrifiée par son mari) et au style (entre réalisme et fantastique) comparables : il s'agit d'Experiment Perilous (Angoisse, 1944) avec Hedy Lamarr et Paul Lukas. Dans le même esprit (malin...), on peut citer "Suspicions" (Soupçons) d'Alfred Hitchcock, qui date de 1941. D'ailleurs, Patrick Hamilton, auteur de la pièce "Gaslight", a aussi écrit une pièce portée à l'écran par le maître du suspense : "Rope" (La Corde, 1948). Ajoutons que deux des héros de "Gaslight", Ingrid Bergman et Joseph Cotten, formeront le couple central "Under Capricorn" (Les Amants du capricorne, 1949).
- "Gaslight" marque la première apparition à l'écran de l'actrice britannique Angela Lansbury, alors âgée de 19 ans. En contrat avec la MGM, elle jouera l'année suivante dans "The Picture of Dorian Gray" (Le Portrait de Dorian Gray, 1945), avant de tourner sous la direction de Frank Capra "State of the Union" (L'Enjeu, 1948) ou Vincente Minnelli "The Reluctant Debutante" (Qu'est-ce que Maman comprend à l'amour ?, 1958), mais n'accèdera au statut de star que grâce à son personnage de Jessica Fletcher, l'écrivain à succès et surtout enquêtrice perspicace de la série télévisée Arabesque, très populaire dans les années 80 et 90.
- Irene Dunne et Hedy Lamarr avaient été pressenties pour jouer le rôle de Paula.
- Charles Boyer étant une star depuis plus longtemps qu'Ingrid Bergman, l'entourage du french lover exige, avant le tournage, que le nom de celui-ci soit en haut de l'affiche, au-dessus de celui de la comédienne. Cela provoque la fureur de David O. Selznick : dans la mesure où il a prêté "sa" vedette à la MGM, il estime que Bergman doit être en haut de l'affiche, menaçant de la "reprendre" dans le cas contraire. Finalement, l'actrice, désireuse de jouer avec Boyer quelle que soit sa place sur l'affiche, mettra fin à ce conflit. Le nom d'Ingrid Bergman se retouvera donc entre ceux de ses deux partenaires masculins, Charles Boyer au-dessus et Joseph Cotten (également sous contrat avec Selznick) au-dessous...
- Ingrid Bergman et Charles Boyer seront de nouveau partenaires dans "Arch of Triumph" (Arc de Triomphe, 1948) de Lewis Milestone et, beaucoup plus tard, dans "A Matter of Time" (Nina, 1976), qui fut le dernier film du comédien, mais aussi du réalisateur Vincente Minnelli.
- Signalons la présence, comme assistant opérateur, d'un débutant nommé Harry Stradling Jr., le fils du chef-opérateur Harry Stradling (Soupçons, Un tramway nommé désir, My Fair Lady...) et qui deviendra lui-même un directeur de la photo de renom (Le Reptile, Little Big Man).
- Pour la scène du baiser, Charles Boyer a dû monter sur une boîte, sa partenaire Ingrid Bergman étant plus grande que lui...
- Le mot "Gaslight" signifie "éclairage au gaz", mais à la suite du succès du film, l'expression "to gaslight somebody" a fleuri, avec pour signification "rendre quelqu'un fou, le manipuler".
- Le livre qu'Ingrid Bergman lit à haute voix est "Villette" de Charlotte Brontë.
- Dans le script de la MGM, Charles Boyer était censé dire à Ingrid Bergman à la fin qu'il l'avait toujours aimé. C'était un ajout à la pièce fait par le scénariste. David O. Selznick, en relisant le script, a été horrifié et a promptement envoyé à la MGM une de ses célèbres longues et compliquées lettres, celle-ci ordonnant au studio d'omettre cette ligne, ce qui fut fait.
- Les plateaux sont délibérément emplis avec du bric-a-brac pour souligner le sens croissant chez Paula de la claustrophobie.
- Ingrid Bergman a passé un certain temps dans un établissement psychatrique pour s'imprégner de son rôle, étudiant une femme qui avait souffert d'une dépression nerveuse.
- L'aria qu'Ingrid Bergman chante quand nous la voyons dans la première scène est extraite de l'opéra "Lucia Di Lammermoor" de Gaetano Donizetti. L'opéra est célèbre pour sa prétendue "scène folle", dans laquelle Lucia va devenir aliénée.
- Lorsqu'il réalise Hantise en 1944, George Cukor est un metteur en scène réputé et maintes fois auréolé de succès mais surtout un directeur d'actrice hors pair qui a déjà dirigé Katharine Hepburn à trois reprises et signé l'ultime film de Greta Garbo, "Two-Faced Woman" (La Femme aux deux visages, 1941). Même si la réputation de Cukor est excellente, le système mis en place par les Studios exerce un certain nombre de pressions qui ne permettent pas au réalisateur de jouir d'une totale liberté dans ses projets. L'exemple le plus parlant est certainement son éviction de "The Wizard of Oz" (Le Magicien d'Oz, 1939) et de "Gone with the wind" (Autant en emporte le vent, 1939) à l'avantage de Victor Fleming, notamment parce que Clark Gable ne tolérait pas que Cukor, homosexuel affiché, féminise l'histoire au profit des actrices Vivien Leigh et Olivia De Havilland dans l'adaptation du best-seller de Margaret Mitchell. Cette déception, à laquelle vient s'ajouter le retrait précipité des écrans d'une Greta Garbo peu satisfaite du dernier rôle que lui offrit Cukor, engage le réalisateur dans une période plus sombre, à l'image des tourments qui secouent la planète depuis le début de la seconde guerre mondiale. En 1942, il signe une œuvre trop méconnue, "Keeper of the flame", (La Flamme sacrée, 1942), avec Katherine Hepburn, dont l'humanisme affiché est une réponse à la crise idéologique que traversent de nombreux pays européens. L'importante migration de talents du vieux continent pour les Etats-Unis fait qu'à partir de la fin des années 1930, le cinéma hollywoodien n'a jamais autant été européen, et "Gaslight", dans le sillon de Rebecca (1941) d'Alfred Hitchcock, en est un parfait exemple.
Paula Alquist Anton : If I were not mad, I could have helped you. Whatever you had done, I could have pitied and protected you. But because I am mad, I hate you. Because I am mad, I have betrayed you. And because I'm mad, I'm rejoicing in my heart, without a shred of pity, without a shred of regret, watching you go with glory in my heart!
Paula Alquist Anton : Yes, that's it. [jette le couteau] I am mad. I'm always losing things and hiding things and I can never find them, I don't know where I've put them.
Paula Alquist Anton : I've found it at last, you see, but it dœsn't help you, dœs it, and I'm trying to help you, aren't I, trying to help you to escape. How can a mad woman help her husband to escape?
Paula Alquist Anton : It isn't here, you must have dreamed you put it there. Are you suggesting that this is a knife I hold in my hand? Have you gone mad, my husband?
Gregory Anton : Jewels are wonderful things. They have a life of their own.
Nancy Oliver : Gonna work on your tunes again tonight, sir? You're always working, aren't you?
Gregory Anton : Yes. What are you doing with your evening out?
Nancy Oliver : Oh, I'm going to a music hall... [commence à chanter 'Up in a balloon']
Gregory Anton : I've never been to an English music hall.
Nancy Oliver : Oh, you don't know what you've missed, sir...
Gregory Anton : And whom are you going to the music hall with?
Nancy Oliver : A gentleman friend, sir.
Gregory Anton : Oh, now you know, Nancy, don't you, that gentlemen friends are sometimes inclined to take liberties with young ladies.
Nancy Oliver : Oh no, sir, not with me. I can take care of myself - when I want to.
Gregory Anton : You know, Nancy, it strikes me that you're not at all the kind of girl that your mistress should have for a housemaid.
Nancy Oliver : No, sir? She's not the only one in the house - is she?
Gregory Anton : For the last time, what do you want of me?
Brian Cameron : The jewels - and justice. How dœs it feel, Bauer, to have planned and killed and tortured for something and then to know it's been for nothing?
Gregory Anton : For nothing?
Gregory Anton : I don't ask you to understand me. Between us all the time were those jewels, like a fire - a fire in my brain that separated us - those jewels which I wanted all my life. I don't know why... Goodbye, Paula.
Gregory Anton : I knew from the first moment I saw you that you were dangerous to me.
Brian Cameron : I knew from the first moment I saw you that you were dangerous to her.
Remake de l'excellent Gaslight de Therold Dickinson et adapté d'une pièce de Patrick Hamilton, Gaslight de 1944 confronte celui qu'on nommait le French Lover à la plus suédoise des stars hollywoodiennes, dans un thriller aussi angoissant que palpitant, aussi inquiétant qu'original... Digne d'une œuvre d'Alfred Hitchcock, le maître du suspense, c'est pourtant à George Cukor qu'en revient le mérite. L'une des figures de la Screwball Comedy savait s'illustrer avec brio dans les autres genres du cinéma hollywoodien et a su, de cette manière, créer un drame psychologique ambigu et paranoïaque tout en nuance. La trame policière s'en trouve cependant escamotée puisqu'elle ne consiste qu'en la découverte des motivations et de ce qui a poussé Gregory à agir ainsi avec son épouse.
L'histoire prend pour cadre le Londres victorien. Celui-ci est reconstitué avec soin, décors et costumes sont d'une remarquable beauté et l'atmosphère embrouillée est palpable de par un jeu d'ombres et de lumière parfaitement étudié : Paula, par exemple, illumine l'intérieur d'une maison touchée jadis par le malheur, une maison inquiétante avec ce gaz qui baisse, ces bruits de pas qui retentissent, ces objets qui disparaissent... L'objectif du film n'est pas tant d'effrayer le spectateur puisque, dès le début, il devine ce qui se passe et connaît le responsable mais il joue sur les peurs intrinsèques d'une femme en proie à des angoisses obsessionnelles. Peu sûre d'elle, fragile, vacillante, traumatisée par la mort de sa tante durant son enfance, Paula est atteinte de déséquilibre mental, elle se perd pour finalement sombrer dans cette folie qu'on attribuait à sa mère. C'est donc les relations entre personnages et les comportements des êtres qui suscitent l'intérêt.
Quoi qu'il en soit, le suspense psychologique est au rendez-vous et ce, jusqu'à la fin. Accrocheur, il tient en haleine. Ce scénario diabolique et incroyablement intelligent, s'axant sur le point de vue de la femme persécutée, perdrait toutefois une grande partie de son charme s'il était dénué de la mise en scène brillante que nous offre Cukor. L'oppression et l'angoisse de Paula est mise en valeur par la caméra avec les plans rapprochés de celle-ci sur le visage de la jeune femme et qui ne laissent pas entrevoir la menace extérieure. Des mouvements plongeants de caméra vers Paula sont également présents pour matérialiser les bruits entendus à l'étage supérieur. Paula passe à plusieurs reprises d'une certaine plénitude à l'angoisse la plus profonde comme lors du récital. Concernant le personnage de Gregory, Cukor capte de temps à autre un regard en coin juste avant un fondu enchaîné laissant ainsi planer un doute sur les intentions de l'homme, intentions qu'on devine aisément mauvaises.
Le scénario se basant davantage sur les caractères des personnages que sur l'intrigue, l'interprétation se devait d'être irréprochable. Et c'est le cas. Charles Boyer, ce vrai dandy, est énigmatique et glacial mais c'est l'éblouissante Ingrid Bergman qui retient réellement l'attention. Caméra collée à son beau visage angoissé, le spectateur a loisir de scruter ses réactions et de lire sa détresse et sa perdition dans ses yeux affolés. Un jeu sincère, vrai et profond qui fut auréolé d'un Oscar amplement mérité. Joseph Cotten, bien que son personnage intervienne dans le fin du film dans le but de conclure cette effroyable histoire, se fixe parfaitement à l'ambiance, on le sent amoureux tout autant que libérateur de l'emprise tyrannique du mari tandis que la toute jeune Angela Lansbury révèle déjà à, à peine 19 ans, un talent indéniable. Insolente, agaçante, elle est pourtant loin de revêtir le rôle le plus noir du film...
En conclusion, ce grand classique, bien qu'imparfait d'un point de vue purement policier, a tout d'un chef d'œuvre : personnages captivants, acteurs de talent, réalisateur de génie. L'empathie du spectateur pour Paula est totale, l'ambiance rendue avec brio. A découvrir.