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L'histoire d'Elia Kazan commence très loin d'Hollywood, en Turquie. Il voit le jour en septembre 1909 à Constantinople, dans une famille grecque. Un climat politique tendu, pousse ses parents à partir à New York alors qu'il n'a que trois ans. L'intégration de la famille est facilitée par la présence d'un oncle venu quelques temps plus tôt.
A l'instar de la famille de Bud dans Splendor in the grass, celle d'Elia Kazan est touchée de plein fouet par la crise économique des années 30. Le jeune homme n'est plus intéressé par le commerce monté par son père et son oncle dans les tapis. A ce moment là, il porte un regard très critique sur son pays d'adoption qu'il gardera durant toute sa vie de cinéaste. Dans un entretien avec Michel Ciment, il déclare "j'ai pensé qu'ils n'avaient que ce qu'ils méritaient, ces Américains, ces riches Américains, les garçons des fraternités, ceux qui à peine quitté le collège, avaient trouvé une place à Wall Street".
Kazan se sent plus à l'aise dans les milieux artistiques et plus particulièrement dans le théâtre, qui au début des années 30 est en pleine ébullition à New York. En 1934, il fait ses premières mises en scène et développe la méthode Stanlislavsky qui encourage les acteurs à intérioriser au maximum les personnages qu'ils doivent jouer. C'est à ce moment-là, qu'il rencontre Lee Strasberg, qui dirigera plus tard l'Actor Studio et le futur réalisateur Joseph Losey.
Cette période est marquée également par le développement du Parti Communiste chez les intellectuels et les artistes new-yorkais. La crise économique encourage Kazan à y entrer, mais il le quitte rapidement, refusant de politiser le fonctionnement du Group Theatre dont il était membre. Il doit s'expliquer devant le Parti dans un "procès" qu'il jugera humiliant et qui est peut-être la clé pour comprendre son comportement des années plus tard. Cet incident n'entame pas son intérêt pour le théâtre. Il a acquis une belle renommée après avoir mis en scène The skin of our theeth et une liberté dans le choix de ses pièces.
En parallèle, Elia Kazan participe à la création de l'Actor Studio qui va vite devenir la meilleure école pour la formation des acteurs. Kazan avait un formidable œil pour repérer les futurs talents et les aider à révéler des qualités insoupçonnées pour le théâtre ou le cinéma. A partir de la fin des années 40, Marlon Brando, Paul Newman ou Karl Malden vont suivre cette formation, avant de connaitre de brillantes carrières à Hollywood.
Au milieu des années 40, Elia Kazan se sent prêt pour le cinéma. Son premier film a pour cadre New York. The three grows in Brooklyn raconte la vie d'une famille modeste dont le père est alcoolique. Cette production repose sur le rôle de la petite fille interprétée avec beaucoup de justesse par Peggy Ann Garner. Grâce à elle, le film sera un succès auprès du public et une bonne première expérience derrière la caméra pour son réalisateur. Kazan pose les fondements de ce qui caractérisera son cinéma, en essayant de privilégier au maximum une approche réaliste des situations.
En 1947, Kazan va réaliser deux films qui n'ont presque rien en commun. D'abord Boomerang, un polar se déroulant à Stamford dans le Connecticut. Le budget est limité et met en valeur des membres de l'Actor Studio comme Karl Malden et Lee Jee Cobb. L'autre film, The sea of grass constituera pour toujours un échec pour Kazan. La MGM le force à tourner dans de gigantesques plateaux dans lesquels il ne se sentira jamais à l'aise. Malgré les présences de Spencer Tracay et Katherine Hepburn, cette grande production en costume sur les pionniers de l'Amérique ne trouvera pas son public et ne sera jamais réhabilitée par les cinéphiles.
Ce contretemps n'empêche pas Kazan de continuer sa carrière. En 1949, il réalise Gentlemen agreement avec un Gregory Peck au tout début de sa carrière. La grande idée de ce film était de montrer du doigt l'antisémitisme qui était à cette époque là très fort dans la société américaine. Kazan est choisi par son studio parce qu'il est catalogué comme un réalisateur "libéral". Pour lui, Gentlemen agreement restera toujours comme un film trop conventionnel dans sa mise en scène. Malgré ses réserves, cette production va obtenir l'Oscar du meilleur film et du meilleur réalisateur, suite à un gros travail de promotion de Darryl F. Zanuck.
L'année suivante, le légendaire producteur demande à Kazan de remplacer au pied levé John Ford pour la réalisation de Pinky. Un film qui a pour thème le racisme contre les noirs. Elia Kazan reconnaitra par la suite qu'au début de sa carrière il avait été naïf et qu'il n'aurait jamais dû accepter un tel projet, dans lequel il ne maitrisait rien. Il considérera plus tard Pinky, comme un mélo dépourvu de passion qui n'avait qu'un seul mérite, celui de lui offrir un très bon cachet.
Ce n'est qu'en 1950 que la carrière d'Elia Kazan va devenir véritablement intéressante sur le plan artistique. Avec Panic in the Street, il va pouvoir continuer ce qu'il avait à peine eu le temps de commencer dans The tree grows in Brooklyn et Boomrang. Raconter la vie de ses personnages avec passion et réalisme dans des décors crédibles. Panic in the Street montre sur quelques jours, la peur de la Nouvelle Orléans face à l'arrivée d'un virus. Les deux acteurs principaux sont Richard Widmark et Jack Palance, qui n'étaient pas encore devenus de grandes figures du western américain.
En 1952, la quête de réalisme de Kazan va aller plus loin avec la réalisation de A streetcar named desire. Il s'agit de l'adaptation au cinéma de la pièce de théâtre de Tennesse Williams que Kazan avait déjà mise en scène à Broadway. Il va pouvoir exprimer des thèmes très peu traités jusque là au cinéma : la frustration, le mensonge et surtout la folie. Durant deux heures, le public va suivre la déchéance de Blanche Dubois et ressentir la chaleur et l'humidité que subissent les protagonistes du film. Un tel projet reposait beaucoup sur le jeu des acteurs. Le choix de Marlon Brando qui avait joué au théâtre le rôle de Stanley était une évidence. Pour celui de Blanche Dubois, Kazan dû accepter non sans réticences de diriger une Vivien Leigh imposée par la Warner. Après quelques jours de travail, Kazan réussit à trouver en elle tout ce qui caractérisait le rôle de ce personnage plein de fragilité. A sa sortie, A streetcar named desire va marquer les esprits. Le New York Times écrit à propos du film "rarement les tourments intérieurs auront-ils été projetés avec autant de sensibilité et une telle clarté sur le grand écran". Les performances de Marlon Brando et Vivien Leigh impressionnent et cette dernière obtient un Oscar.
Pour son film suivant, Kazan choisit de s'intéresser pour la première fois à un personnage historique, le révolutionnaire mexicain Zavata joué par Marlon Brando. Le film est tourné en extérieur et révèle un jeune acteur talentueux, Anthony Quinn.
En 1952, Elia Kazan va avoir son nom pour toujours associé à la chasse aux sorcières. Le sénateur Joseph McCarty se lance dans une traque des communistes. Les milieux artistiques sont particulièrement visés et des commissions spéciales font pression. L'un des objectifs était de connaitre les noms des communistes que Kazan avait connus dans les années 30 à New York. Après des rencontres de plusieurs semaines, Kazan finit par coopérer. Ses vies de cinéaste et d'homme ne seront plus jamais les mêmes. La chasse aux sorcières entraine la fuite de nombreux réalisateurs de gauche vers l'Europe, comme Joseph Losey et Jules Dassin. D'autres, comme le brillant scénariste Donald Trumbo, devront travailler en secret et utiliser pendant plusieurs années des noms d'emprunts. Visiblement marqué par son passage au Parti Communiste, Elia Kazan n'exprimera jamais de véritables regrets. Un jour, il écrira "Je détestais les communistes depuis plusieurs années et je ne me voyais pas abandonner ma carrière pour les défendre".
En 1954, Kazan peut donc continuer à exercer son travail de cinéaste avec On the waterfront. Pour la plupart des critiques américains, il s'agit de son chef d'œuvre absolu. Marlon Brando tient là sans doute le rôle de sa vie. Un ancien boxeur qui va se rebeller par amour contre la loi imposée par un syndicat sur des dockers. Si l'impression de chaleur était omniprésente sur A streetcar named desire, c'est le froid et le vent que l'on ressent en voyant ce film où l'on retrouve également Eva Marie Saint. Les fidèles compagnons de Kazan sont là aussi. Lee Jee Cobb en chef de gang et Karl Malden qui joue un prêtre intransigeant face à la corruption. Ce drame est rempli de scènes qui ont marqué l'histoire du cinéma, comme cette explication dans un taxi entre Marlon Brando et Rod Steiger ou ce moment où Brando ramasse le gant d'Eva Marie-Saint et tarde à lui rendre. Une preuve de son amour naissant pour elle.
A sa sortie, On the waterfront va être un immense succès critique et populaire. Le film reçoit huit Oscars, dont ceux du meilleur réalisateur et du meilleur acteur pour Brando. Toutefois, certains reprochent à Kazan d'avoir voulu enjoliver son comportement durant la chasse aux sorcières en faisant un parallèle entre lui et le personnage joué par Brando ; la délation devenant une forme d'émancipation.
Au milieu des années 50, Kazan devient donc l'un des réalisateurs les plus importants du cinéma américain. Pour son prochain film, il va non seulement pouvoir mener à bien le projet qu'il veut mais en plus il va disposer de moyens financiers importants qui se caractérisent par un tournage en Cinemascope. Avec East of eden, il devient également producteur et ce n'est pas une surprise s'il choisit de ne prendre aucune star au moment de distribuer les rôles. Kazan avait repéré depuis un moment un certain James Dean à l'Actor Studio. Le réalisateur ne doutait pas un instant qu'il serait parfait pour le rôle de Cal Trask. Un personnage en quête d'identité qui découvre que sa mère n'est pas morte et qu'elle est tenancière d'une maison close. Un jeune homme également confronté à une constante rivalité avec son frère qui est en apparence tout ce qu'il n'est pas.
Comme dans A streetcar named desire, East of eden traite du mensonge et de la folie. Kazan réussit à faire en sorte que les personnages ne soient pas des caricatures. Cette adaptation du livre de John Steinbeck se situe au début du siècle dernier, dans une Californie rurale. Avec ce film, la légende de James Dean était née et il allait représenter une figure de rebelle qui perdure encore aujourd'hui.
Pour sa production suivante, Kazan aurait pu se lancer dans un autre projet onéreux. Il choisit au contraire de réaliser un hui-clos au budget limité, Baby Doll, d'après Tennesse Williams. L'histoire d'une adolescente qui a été mariée de force à un aristocrate ruiné pour qui elle n'éprouve aucune passion. Pour la première fois, Karl Malden tient le rôle principal dans un film de Kazan. A l'écran, il est en concurrence pour l'amour de la jeune femme avec un Eli Wallach qui n'était pas encore devenu le légendaire Tuco du Bon, la brute et le truand.
En 1957, Elia Kazan retrouve l'écrivain Bud Schulberg qui avait écrit le scenario de On the waterfront. A face in the crowd est l'un des projets les plus audacieux de la carrière de Kazan. Le film se déroule à la fois dans la campagne américaine et à New York. Il raconte la fulgurante ascension d'un animateur radio qui va connaitre la gloire et la perdre brutalement. Cette production décrit les méthodes que l'on peut utiliser pour manipuler les foules. Elle parle aussi de la publicité qui commençait à devenir omniprésente dans l'Amérique des années 50. Au moment de désigner les acteurs, Kazan choisit de donner le rôle principal au chanteur country Andie Griffith. Ce dernier incarne un personnage dénué de toute lucidité face au succès. Le film marque aussi les débuts de Lee Remick et l'une des premières apparitions de Walter Matthau.
Deux ans plus tard, Elia Kazan réalise le film le plus romantique de sa carrière : The wild river. Il a pour cadre ce Sud des Etats-Unis qui fascinait tant le cinéaste et se déroule durant les années 30. Un moment où l'Amérique change de visage en délaissant peu à peu l'agriculture pour l'industrie. L'ingénieur Glover se voit confier la très difficile mission de déloger une propriétaire décidée à ne pas partir. Une femme pleine de dignité et de fierté dont les cultures au fil du temps ont été encerclées par les eaux. Glover va se heurter au racisme de la population blanche contre les droits des noirs et tomber amoureux du personnage interprété par Lee Remick.
Après avoir travaillé avec Brando, Kazan peut avec ce film diriger Montgomery Clift, l'autre immense acteur de la décennie qui s'achève. Le couple qu'il forme à l'écran avec Lee Remick est l'un des plus beaux que nous ait offert Hollywood. L'émotion ne passe presque que par les regards que se portent les deux personnages. L'interprétation de Jo Van Fleet dans le rôle de la propriétaire force également le respect.
Si un seul et unique film devait caractériser la contribution d'Elia Kazan au septième art, il s'agirait sans doute de Splendor in the grass. Ce n'est pas son œuvre la plus connue, mais elle est sans doute la plus aboutie. Cette production est le résultat d'une parfaite entente avec l'écrivain et scénariste William Inge. Ce dernier eu l'idée de raconter le destin de deux familles du Kansas à la fin des années 20 et au début des années 30. Les personnages de Bud et Deanie sont issus de familles diamétralement opposées. Le jeune homme représente tous les espoirs d'un père exubérant qui a fait fortune en grande partie grâce à la bourse. La jeune fille a beaucoup de mal à s'émanciper, à cause d'une mère envahissante qui la traite encore comme une enfant. Ces deux étudiants ne vont jamais réussir à s'aimer pleinement et durablement. Une situation qui va pousser le personnage de Deanie à entrer dans l'anxiété puis dans la folie. Au même moment, le modèle économique qui avait fait la fortune de la famille de Bud s'effondre.
Pour réaliser un tel mélodrame, le fait de disposer de très bons acteurs est indispensable. Kazan choisit Natalie Wood pour interpréter le rôle de Deanie. L'actrice avait marqué les esprits lors de son appariation aux côtés de John Wayne dans La prisonnière du désert (The Searchers) de John Ford. L'acteur en face était en revanche novice. Warren Betty n'était connu jusque là dans le Show Business que pour être le petit frère de Shirley MacLaine. Il joue un type de personnage très peu vu dans le cinéma américain. Un protagoniste presque impassible face aux événements dramatiques qui se déroulent autour de lui. Comme dans tous les films de Kazan, les seconds rôles sont excellents, en particuliers Barbara Loden, qui joue la sœur de Bud et qui partageait à ce moment là la vie du cinéaste. Paradoxalement, l'Académie des Oscars qui avait plébiscité Gentlemen agreement, ne sélectionna pas Splendor in the grass dans sa catégorie de la meilleure production de l'année 1961. Le film reçut toutefois une statuette pour le scénario de William Inge.
Au début des années 60, Elia Kazan se lance en parallèle de sa vie de cinéaste, dans une carrière d'écrivain. Dès son enfance, il avait été fasciné par le destin de son oncle qui avait quitté la Turquie pour gagner les Etats-Unis. Elia lui rend le plus beau des hommages en écrivant le livre America America. L'odyssée au début du 20ème siècle, d'un jeune grec prêt à tous les sacrifices pour immigrer en Amérique. Il s'agit également du portrait d'un personnage plein de ruse et de malice, capable de s'adapter à toutes les situations.
Très rapidement, Kazan voulut porter à l'écran son propre livre, en écrivant pour la première fois de sa carrière un scénario. L'un des objectifs était de parler du thème de l'immigration qui, à l'époque, n'avait presque jamais été traité dans le cinéma américain. Malgré ses deux Oscars et plusieurs succès populaires à son actif, Kazan va avoir les pires difficultés à financer son film. Les studios étaient très réticents à soutenir un projet sans star, dont le tournage devait se dérouler en Turquie. Kazan tenait à ce que son récit soit le plus proche possible de la réalité. Les souvenirs de sa grand-mère et de sa mère lui apportèrent une aide précieuse. Un souci du détail qui alla même jusqu'à étudier la façon dont les gens se tenaient sur une chaise.
Dès le départ, Elia Kazan savait que l'une des principales difficultés serait de trouver un bon acteur pour interpréter Stavros. Il se lança à travers l'Europe à la recherche du jeune homme qui correspondrait parfaitement au personnage central du film. Une quête comparable à celle qu'entreprendra plus tard Luchino Visconti pour trouver le Tadzio de son Mort à Venise. Kazan choisit finalement Stathis Giallelis, un jeune grec qui avait été marqué par les persécutions dont son père communiste avait été victime.
Après avoir réussi à financer son projet, Kazan va entreprendre le tournage le plus difficile de sa carrière. L'omniprésence des autorités turques pour contrôler son travail pousse l'équipe du film à partir en Grèce. Au même moment, ses rapports avec son directeur de la photographie Haskell Wexler sont exécrables. Des tensions venant de divergences aux niveaux artistiques et parfois politiques qui forceront Kazan à envisager un temps de le renvoyer.
Comme l'avaient prévu plusieurs dirigeants de studio, America America va être un échec commercial. Mais cela n'avait pas une grande importance pour Kazan. Il avait pu réaliser le film dont il avait rêvé. Plus tard, il reconnaitra que le travail de Haskell Wexler avait été très important, donnant à America America un style proche du documentaire très novateur. L'interprétation de Stathis Giallelis est une des grandes réussites du film, en particulier dans les scènes se déroulant sur le bateau menant à New York.
Durant les années qui vont suivre, Elia Kazan va se retirer provisoirement du cinéma. Il écrit l'Arrangement que l'on peut presque considérer comme la suite d'America America. Le personnage principal est un fils d'immigré qui semble avoir parfaitement réussi dans ce que l'on appelle l'American Way of life. Un publicitaire riche qui à la quarantaine va perdre le gout pour la vie et renouer le contact avec son père. En 1969, Kazan met en scène son propre livre et dirige Kirk Douglas qui avait le point commun avec le réalisateur de ne pas avoir eu un père américain. L'acteur incarne un personnage complexe et imprévisible, souvent proche de la dépression. Face à lui, Deborah Kerr joue une femme prête à tout pour conserver la fortune de son mari. Enfin, le rôle de la maitresse est tenu par une Faye Dunaway qui n'a jamais été aussi belle que dans ce film.
Trois ans plus tard, Kazan va être à nouveau un précurseur dans le cinéma américain. Il réalise The Visitors, le premier film à traiter directement de la guerre du Vietnam et de ses répercutions. Dans ce projet, Elia est accompagné de son fils Chris qui est à la fois scénariste et producteur. Ensemble, ils vont faire un film intimiste et très dur. La vie d'un vétéran du Viêtnam qui durant le conflit avait dénoncé des soldats de sa section suite à un viol. Ces derniers débarquent brusquement dans sa maison lors de leur retour aux Etats-Unis et créent une situation de tension extrême.
Comme les deux derniers films de Kazan, The Visitors ne va pas être un succès populaire. Il est toutefois sélectionné pour le festival de Cannes, un lieu où Kazan n'a jamais triomphé. Mais avant même d'aller sur la Croisette, le cinéaste devait se douter que ses chances de gagner seraient très faibles. En 1972, le président du jury était Joseph Losey. Le réalisateur du Messager (The Go-between), Palme d'or l'année précédente, était resté très rancunier face au comportement de Kazan durant la chasse aux sorcières. Certains allaient même jusqu'à dire que Kazan était son pire ennemi. Et c'est sans surprise, au moment où le palmarès fut divulgué, que The Visitors ne fut pas cité.
Depuis plusieurs années, Elia Kazan passait la plupart de son temps dans sa propriété reculée du Connecticut. Durant les années 70, le contexte n'était plus favorable pour les réalisateurs de sa génération. Les gros projets des studios ne pouvaient se faire qu'avec des cinéastes plus jeunes qui correspondaient aux attentes du public. Le fait pour Kazan de diriger une grande production sur laquelle il pourrait tout maitriser devenait impossible. Et ce n'était qu'en tant que réalisateur que l'on venait à le contacter.
En 1976, il accepte de remplacer Mike Nichols pour réaliser The last tycoon, l'adaptation du livre inachevé de Francis Scott Fitzgerald. Pour beaucoup d'observateurs, les œuvres de cet auteur étaient intransposables au cinéma et les rares tentatives n'avaient pas fait l'unanimité. Sans avoir écrit le scenario et sans être producteur, Elia Kazan va pourtant réussir l'un de ses plus beaux films.
Cette production reposait sur un scénario magnifique d'Harold Pinter. La présence du futur Prix Nobel de Littérature aux côtés de Kazan constituait une énorme surprise. Pour la première fois, l'un de ses scripts pour le cinéma n'allait pas être utilisé par Joseph Losey. Pinter réussit avec The last tycoon une description subtile de ce que devait être le quotidien d'un grand studio dans les années 30. Le personnage central est Monroe Stahr, un jeune et brillant directeur de production qui a du mal à se remettre de la mort de sa femme. Sa vie va à nouveau basculer lorsqu'il va tomber amoureux d'une jeune actrice mystérieuse.
Le rôle de Monroe Stahr fut assez vite donné à Robert de Niro. Pour rentrer dans la peau du personnage, l'acteur perdit beaucoup de poids, apparaissant à l'écran sous un jour nouveau. The last tycoon est également un film disposant d'un impressionnant casting. Avec Robert Mitchum dans le rôle du patron de studio mais aussi Tony Curtis et Jeanne Moreau pour incarner les vedettes Hollywoodiennes. Cette production marque enfin la seule et unique association à l'écran entre Robert de Niro et un Jack Nicholson, inoubliable dans son personnage de syndicaliste.
A sa sortie, The last tycoon va recevoir des deux côtés de l'Atlantique un nombre impressionnant de critiques élogieuses. Dans le même temps, il sera totalement boudé par le public. Aujourd'hui, il est une sorte de chef d'œuvre oublié du cinéma des années 70 qui reste encore à découvrir.
Sans qu'il s'en rende compte, The last tycoon va être le dernier film d'Elia Kazan. Dans les années 80, aucun projet qu'il avait imaginé ne pourra se faire. Lassé de devoir rencontrer des dirigeants de studios qui ne l'écoute pas, le cinéaste s'éloigne presque définitivement du monde du cinéma. En 1988, son autobiographie Une vie connait un gros succès en librairie mais elle a aussi pour effet de raviver les polémiques du passé, Kazan ne laissant pas de place aux regrets.
Après avoir reçu de nombreux hommages en Europe pour l'ensemble de carrière, Elia Kazan reçoit un Oscar d'honneur en 1999. Un choix très surprenant, car généralement ce prix est remis à une personne n'ayant jamais gagné la précieuse statuette. Or, le cinéaste en avait déjà gagné deux. Le soir de la cérémonie, une partie de la salle se leva pour acclamer le vieux cinéaste, une autre resta silencieuse pour montrer du doigt son comportement prêt de 50 ans plus tôt. La remise de l'Oscar fur effectuée par Robert de Niro et surtout Martin Scorcese, qui a toujours considéré Kazan comme son idole. Les images de cette cérémonie seront les dernières d'Elia Kazan. Le 28 septembre 2003, il s'éteint à 94 ans laissant pour toujours une impression mêlée de malentendu et de controverse.