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Montgomery Clift voit le jour le 17 octobre 1920, juste après sa soeur jumelle Roberta. Son enfance est marquée par l'omniprésence d'une mère qui essayait de donner à ses enfants, une éducation aristocratique. Durant les années 30, ses efforts seront mis à mal par la grande dépression : la famille de Montgomery Clift, comme tant d'autres, ayant basé sa fortune sur les marchés financiers.
Ces difficultés n'empêchent pas celui que l'on surnomme déjà Monty de trouver rapidement sa voie. Dès l'âge de 13 ans, il apparait sur les planches de Broadway, la meilleure des écoles pour un acteur en devenir. Il acquiert vite une bonne réputation, sa beauté constituant un atout non négligeable lorsqu'il devient un jeune adulte. L'actrice sulfureuse Libby Holman va vite succomber à ses charmes et financer rien que pour lui la pièce "Mexican Mural" au début des années 40. Mais elle devra rapidement constater, comme tant d'autres femmes, que Montgomery Clift est homosexuel. Malgré tout, Libby Holman va avoir une grande influence sur le début de carrière de l'acteur. Elle lui conseille de retarder sa venue à Hollywood, alors que les studios lui font déjà les yeux doux. Pour elle, Montgomery doit compléter son travail d'apprentissage avant d'aller en Californie ; le but étant d'être capable de jouer plusieurs types de personnages et d'exprimer une grande palette d'émotions.
Les grands débuts de Montgomery Clift au cinéma ont lieu finalement en 1948 dans le western The red river. Il est dirigé par un spécialiste du genre, Howard Hawks et il joue le fils adoptif de John Wayne. Dès sa première apparition, Clift électrise l'écran et l'on sent qu'Hollywood ne le laissera pas retourner à Broadway. L'année suivante, le réalisateur autrichien Fred Zinneman fait appel au jeune acteur pour le rôle principal de The search qui traite de l'après seconde guerre mondiale. Clift incarne un GI qui aide un enfant, rescapé d'un camp de concentration, à retrouver sa mère. Son interprétation force le respect et lui vaut sa première nomination aux Oscars.
Par la suite, Montgomery joue dans un film en costume, The hereiss avec Olivia de Havilland. Mais c'est le film A place in the sun qui va faire de Clift l'une des plus grandes stars d'Hollywood. Cette production rassemble tout ce qui caractérise le mélodrame dans le cinéma des années 50. Les thèmes du puritanisme et des différences de classes sociales sont mis en avant. Montgomery Clift incarne George Eeastman, un jeune travailleur issu d'un milieu modeste. Il rencontre une ouvrière, interprétée par Shirlley Winters, qui tombe rapidement enceinte. Mais au même moment, George croise Angela Vickers, issue d'une très riche famille. Cette dernière, incarnée par Elizabeth Taylor, tombe éperdument amoureuse du jeune homme, sans qu'il n'ose lui révéler la vérité sur sa double vie. Dans ce film dirigé par George Stevens, Montgomery Clift apparait à l'écran en ayant presque toujours le visage fermé. Au début, il est complexé par ses origines sociales, puis le poids des conventions l'empêche de vivre pleinement sa passion, avec le personnage que joue Elizabeth Taylor. La sortie en salle de A place in the sun va totalement chambouler la vie de Montgomery Clift. Le film obtient un énorme succès et l'acteur va devoir apprendre à vivre avec une nuée d'admiratrices et de photographes autour de lui. Un quotidien que connait très bien Elizabeth Taylor qui va devenir une amie proche de Montgomery Clift.
En 1953, Fred Zinnemann retrouve Montgomery Clift pour la réalisation de l'un des plus beaux mélodrames de l'histoire d'Hollywood, From here to eternity, l'adaptation au cinéma du roman très controversé de James Jones. Avec le recul, il est impossible de comprendre comment un tel projet ait pu être voir le jour au début des années 50 ; une période où l'Amérique vit dans la paranoïa et où sévit la chasse aux sorcières avec un patriotisme exacerbé. L'action se déroule dans une garnison militaire d'Hawaii au début des années 40 et durant deux heures le film traite d'adulaire, de prostitution, d'alcoolisme mais aussi du racisme et de la torture au sein même de l'armée américaine.
From here to eternity n'a donc rien d'un traditionnel film de guerre où tous les personnages américains sont des héros valeureux. Il s'agit avant tout du destin de trois hommes vivant en marge dans une base militaire. Burt Lancaster interprète un sergent entretenant une liaison avec la femme d'un commandant. Frank Sinatra est un soldat d'origine italienne perpétuellement victime d'humiliations et Mongomery Clift joue Lee Prewitt, un homme têtu et renfermé sur lui-même, venant de quitter l'orchestre militaire. Tous ces protagonistes et ceux qui les entourent ne se soucient guère de la seconde guerre mondiale qui a débuté deux ans plus tôt. Pour la plupart d'entre eux, la chose la plus importante est leur prochaine permission qu'ils passeront dans une maison close. Habillement, Fred Zinnemann retarde au maximum l'attaque de Pearl Harbor. Lorsqu'elle arrive enfin, elle offre l'un des finals les plus surprenants dans l'histoire d'Hollywood.
La sortie du film va émouvoir énormément d'américains. Si bien que les sujets tabous qu'il traite ne feront pas véritablement scandale. From here to eternity reçoit même un grand nombre d'Oscars, dont ceux de la meilleure production et de la meilleure mise en scène. Malheureusement, la cérémonie est marquée par une lutte fratricide et cruelle entre Burt Lancaster et Montgomery Clift, dans la catégorie du meilleur acteur, dont aucun des deux hommes ne sortira vainqueur. Frank Sinatra de son côté aura plus de réussite, en gagnant l'Oscar du meilleur acteur dans un second rôle. Même si une grande partie des critiques français l'a toujours méprisé, reprochant un manque de réalisme, le film de Zinnemann a laissé une trace importante. Un souvenir qui va bien au-delà de la mythique scène où Burt Lancaster enlace Deborah Kerr sur une plage hawaiienne.
Au début des années 50, le fait qu'il ne dispose pas encore d'Oscar n'a finalement pas une grande importance pour la carrière de Montgomery Clift. Avec Marlon Brando, il est l'acteur qui attire le plus l'attention des grands cinéastes. En 1953, Vittorio de Sica le dirige dans Indiscrétion, tourné en Italie. Un mélodrame traitant à nouveau de l'adultère, qui malgré son affiche prestigieuse est resté assez méconnu du grand public et des cinéphiles. Juste avant, Alfred Hitchcock avait eu l'occasion de travailler avec Clift. Il y avait quelque chose de mystérieux chez cet acteur qui ne pouvait qu'attirer l'attention du maitre du suspense. Dans I confess, Monty incarne un prêtre qui garde le silence après la confession d'un employé de maison ayant tué un avocat. Une fois de plus, Clift apparait à l'écran le visage figé et les yeux grands ouvert. Il semble torturé par un problème dont il n'arrive pas à parler. Une situation que vivent généralement les personnages féminins dans les films d'Hitchcock. A propos de Clift, François Truffaut déclarera plus tard que son interprétation était remarquable, Il n'avait qu'une seule attitude, et même un seul regard d'un bout à l'autre du film : une dignité totale avec une très légère nuance d'étonnement. De son côté, Hitchcock ne considéra jamais I confess, comme l'une de ses grandes réussites, regrettant un manque d'humour et des lourdeurs dans le scénario. Mais jamais il ne remettra en question le travail de l'interprète principal.
Fatigué par le tournage de trois films consécutifs en quelques mois, Clift se retire provisoirement des plateaux de cinéma, alors que sa carrière d'acteur est à son zénith. La réussite professionnelle qu'il a obtenue très rapidement ne le rend pas heureux et semble au contraire lui faire peur. Petit à petit, il devient dépendant de l'alcool et à des pilules qu'il prend pour soigner des allergies. Sa santé est si préoccupante, qu'il ne fera pas de films durant trois longues années.
En 1956, Mongomery Clift fait son grand retour au cinéma dans Raintree country . Sans la présence d'Elizabeth Taylor à ses côtés, il n'aurait peut-être jamais repris sa carrière d'acteur. Elle seule semblait parfaitement le connaitre et le comprendre. Le tournage de ce film en costume se déroulant durant la guerre de sécession, est marqué par l'omniprésence du public de Danville dans le Kentucky. Sur les sublimes photos de Bob Willoughby, qui avait suivi tous le tournage, les deux vedettes sont inséparables et peut-être pour la première fois de sa carrière, Mongomery Clift semble avoir trouvé une certaine forme de sérénité.
Malheureusement, il s'agit d'une illusion. Au milieu du tournage, Montgomery Clift est victime d'un accident avec sa Corvette. Son visage qui l'avait rendu si populaire auprès de tant d'admiratrices ne sera plus jamais le même. Heureusement, son talent immense est resté intact tout comme sa capacité à attirer l'attention des grands réalisateurs. En 1958, Edward Dmytryk le dirige dans Yong lions, un film ayant pour cadre la seconde guerre mondiale où il partage le haut de l'affiche avec Marlon Brando. Durant le tournage, ce dernier s'inquiétera des problèmes d'alcool de Clift et entretiendra une relation amicale avec lui, sans qu'il y ait la moindre jalousie entre les deux meilleurs acteurs des années 50.
La santé très fragile de Montgomery Clift et ses multiples dépendances, ne l'empêchent toutefois pas d'être très actif à la fin de la décennie. Comme s'il voulait fuir sa propre réalité. En 1959, Joseph L. Mankiewicz créée la surprise en dirigeant la star dans sa dernière production, Suddenly last summer, d'après Tennesse Williams. Un mélodrame, où pour la première fois il ne joue pas un personnage tourmenté. Il est dans les années 30, le docteur Hockstader à qui l'on demande d'exécuter une lobotomie sur une patiente brillamment interprétée par Elizabeth Taylor. Avant d'effectuer cette terrifiante opération, le docteur tient à déceler la vérité sur le traumatisme qui l'a touchée, lorsque son cousin, dont elle était très proche, a trouvé la mort. Le film est marqué également pas la présence troublante de Katherine Hepburn dans le rôle de la mère du défunt.
Suddenly last summer n'est pas seulement un sommet dans la carrière de Montgomery Clift, c'est aussi un film qui revêt une dimension plus personnelle pour l'acteur. Le thème de l'homosexualité est traité pour l'une des premières fois à Hollywood. Plus tard, il sera révélé que la présence de Clift dans le film avait été une exigence d'Elizabeth Taylor, ce qui explique peut-être les difficultés que l'acteur rencontra avec Mankiewicz et le légendaire producteur Sam Spiegel. Mais avec le recul, il semble impossible d'imaginer qui d'autres aurait pu jouer dans ce film le rôle du docteur Hockstader.
C'est en 1960 que Montgomery Clift finit enfin par faire un film avec Elia Kazan. Durant toutes les années 50, le réalisateur-producteur s'était imposé comme l'un des grands maitres du mélodrame. Un genre dans lequel l'acteur n'avait plus à faire ses preuves. The wild river va pourtant être un projet assez novateur pour les deux hommes. Il s'agit surtout et avant tout d'un film où le romantisme et le lyrisme sont mis en avant. Clift qui avait déjà été dirigé à Broadway par Kazan, incarne un ingénieur qui est chargé, dans les années 30, de déloger une agricultrice, dont les cultures ont été peu à peu encerclées par les eaux. C'est à cette occasion qu'il va tomber amoureux d'une jeune femme interprétée par Lee Remick.
Le tournage du film va être extrêmement difficile pour un Clift qui doit lutter contre ses vieux démons. Ses problèmes avec l'alcool commençent à devenir insolubles. Aussi c'est un acteur extrêmement fatigué et amaigri que le public va découvrir. Malgré tout, son interprétation est une nouvelle fois impressionnante. Comme si son talent ne peut en aucune manière le lâcher. Quelques années plus tard, Kazan déclarera : j'adorais Monty Clift. J'avais le même genre de liens avec lui qu'avec Brando; il venait chez moi me raconter ses problèmes et ma femme était pour lui une espèce de figure de la mère. Monty avait une quantité terrible de problèmes psychiques; il arrivait même quelques fois qu'on ne puisse pas le regarder tant il souffrait.
Pour de nombreux observateurs, l'image de Mongomery Clift a radicalement changé en l'espace de quelques années. Il n'est plus le jeune premier dont des milliers d'américaines étaient tombées amoureuses dans A place in the sun. Aussi, une mauvaise réputation concernant son comportement sur les plateaux semble pénaliser la suite de sa carrière. C'est à ce moment là que John Huston décide de travailler avec l'acteur pour sa prochaine production The Misfits. Le légendaire cinéaste se fiche des ragots et sent que Clift serait parfait pour interpréter Perce Howland. Un cowboy qui après une participation peu concluante à un rodéo va partir capturer des chevaux sauvages avec le personnage qu'interprète Clark Gable. La Production est aussi marquée par la présence de Marylin Monroe qui incarne une femme perdue venant juste de divorcer.
Pour une multitude de raisons, The Misfits va vite faire parti de la longue liste des films maudits de l'histoire d'Hollywood. Les conditions de tournage sont très dures dans le désert. Marylin Monroe quitte le plateau à plusieurs reprises à cause d'une santé fragile et Clark Gable décédera quelques semaines après une dernière scène qu'il a jouée à bout de force. De son côté, Montgomery Clift va de plus en plus mal. Cela n'empêche pas Huston de faire appel une nouvelle fois à la star pour un de ses projets ambitieux dont lui seul avait le secret. L'adaptation cinématographique de la vie de Sigmund Freud. Clift va rentrer dans la peau du père de la psychanalyse, qui au 19ème siècle avait lutté pour faire accepter ses idées. Pour l'acteur, le tournage de Freud the secret passion va être une nouvelle fois un très mauvais souvenir. A plusieurs reprises, il a du mal à mémoriser son texte. Il est souvent malmené par un réalisateur qui a une personnalité totalement différente de la sienne et qui comprend mal son homosexualité. La tension est telle que l'équipe du film va vite se diviser en deux parties, les pro-Huston et les pro-Clift. Universal envisage même sérieusement de remplacer la star par Eli Wallach. Finalement, le studio n'ira pas jusqu'à cette extrémité et Huston déclarera plus tard : En fin de compte, l'interprétation de Clift était remarquable. Freud était lui-même un homme torturé, un homme qui reconnaissait sa névrose. (...) J'avais au moins un acteur également torturé. Ce fut l'expérience la plus difficile que j'ai eue avec un acteur. Je devais l'approcher d'une certaine façon un jour, d'une autre, un autre jour. Je devais m'occuper de lui, le cajoler, lui tenir la main.
Quelques mois avant le tournage de Freud the secret passion, Clift avait participé au film Judgment at Nuremberg. Une production qui revenait sur le procès de nazis en 1947, après la fin de la seconde guerre mondiale. Le casting réunissait une multitude de stars dont Burt Lancaster, Spencer Tracy et Marlene Dietrich. Montgomery Clift jouait le rôle d'un témoin et il n'apparait que quelques minutes à l'écran. C'est toutefois suffisant pour qu'il obtienne une nouvelle nomination pour un Oscar, cette fois-çi dans la catégorie du meilleur acteur dans un second rôle.
Malgré le succès critique et commercial de ce film, l'acteur va se retirer complètement de sa carrière d'acteur. Le regard des autres sur sa sexualité l'empêche de trouver toute forme de sérénité et son gout pour le cinéma semble avoir diminué. Au milieu des années 60, il s'enfuit d'Hollywood et se réfugie à New York, peut-être pour retrouver l'esprit de ses années de jeunesse. Plus tard, il refuse de jouer dans Fahrenheit 451, le premier film tourné en anglais par François Truffaut. Ce n'est que la perspective d'être à nouveau à côté d'Elizabeth Taylor qui le fait accepter une participation dans Reflections in golden eye de John Huston. Une production dont l'action se déroule dans une garnison militaire et qui aborde entre autres, le thème de l'homosexualité refoulée.
Malheureusement, Montgomery Clift ne rentrera jamais dans la peau du major Penderton. Le 23 juillet 1966, il est retrouvé mort dans sa chambre d'hôtel, après avoir été victime d'une crise cardiaque. L'annonce de sa mort suscite beaucoup d'émotion dans un milieu du cinéma qui a admiré l'acteur mais pas cherché comprendre l'homme qu'il était.
Par la suite, l'influence de Clift sur les acteurs qui vont marquer les années 70 sera très forte. Avec Kazan et Brando, il fait parti de ceux qui ont permis au cinéma américain de devenir plus réaliste et de se détacher d'un certain nombre de conventions. Si bien que Montrgomery Clift est sans doute avec Robert Mitchum, le plus grand acteur américain à n'avoir jamais eu d'Oscar.