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Lorsque
l'on travaillait avec Clark Gable, son sens de l'humour était un
ravissement ; par là, j'entends non point ses réparties et
autres facéties mais la façon qu'il avait de rire de lui-même.
Clark est l'un des rares acteurs que j'ai connus à posséder
cette forme authentique de l'humour. Je crois que lui-même se trouvait
ridicule par moments, lorsqu'il devait faire certaines choses qu'il estimait
bizarres ou même extravagantes. C'était un être profondément
humain, rare par bien des aspects. Mais la plus rare de ses qualités
fut justement le fait qu'il sut rester lui-même, en toutes circonstances,
c'est-à-dire qu'il fut toujours Clark Gable. Je l'ai rencontré
sur le plateau de la Malle de Singapour, le premier film que nous avons
tourné ensemble ; il fit alors une remarque sur le sentiment de
ridicule qu'il éprouvait à devoir se maquiller. Il détestait
le maquillage, refusait de s'y prêter ; je sais que c'est en grande
partie à cause de lui que les acteurs maintenant ne se maquillent
plus ou peu sauf pour les rôles de composition. Clark, lui, n'en
voulait pas parce qu'il reprochait au maquillage de n'être pas naturel.
Je ne crois
pas qu'il se voyait lui-même avant tout comme un « acteur ».
Je pense plutôt qu'il se considérait tout simplement comme
un homme exerçant le métier de comédien. Il avait
un métier qu'il faisait consciencieusement, avec tout son cœur,
et sans jamais tricher. Foncièrement honnête, il était
d'une totale franchise. Tant de gens s'efforcent d'être autre chose
que ce qu'ils sont au lieu de chercher à développer leur
propre personnalité. Clark, lui, se contentait d'exploiter ses possibilités
à lui. Il y parvient peut-être mieux que les autres acteurs.
C'est l'un des secrets de sa réussite.
Je ne crois pas qu'on lui ait fabriqué artificiellement une personnalité. C'est, à mon avis, le contraire qui s'est produit. Clark était lui-même et la Metro Goldwyn eut la sagesse et l'intelligence de comprendre qu'avec lui elle possédait une merveilleuse personnalité, vibrante et authentique. C'est donc à partir de lui-même que la Metro créa l'image de marque de Clark Gable. Le phénomène est assez rare et c'est précisément cela qui fait la grandeur de Clark Gable.
Plusieurs années après, lorsque nous avons tourné l'Aventure commence à Bombay, il était toujours aussi naturel, et simple qu'auparavant, extraordinairement coopératif. Dans le travail, il fait encore une fois preuve de générosité, partageait équitablement le succès avec ses partenaires sans chercher à tirer la couverture à lui et sans tenter de supplanter ses partenaires. Grand physiquement, il l'était aussi moralement.
Que n'a-t-on pas dit sur Clark Gable lui qui était, tout simplement, le charme personnifié ? Jamais un metteur en scène n'a eu à lui indiquer comment s'y prendre pour tourner les scènes d'amour. Avec lui, jamais un baiser sur l'écran n'a donné lieu à la moindre discussion. Clark avait un physique harmonieux et équilibré et sa prétendue maladresse est une pure invention. Tel un danseur de ballet, il avait le sens du rythme et de la mesure. Jouer une scène d'amour avec lui était extraordinaire.
Il a certes vécu sa vie et connu de nombreuses aventures. Le travail n'était pas son unique préoccupation, et là réside, à mon avis, une autre raison de sa réussite ; Gable a su trouver un juste équilibre entre sa vie privée et sa vie professionnelle, et c'est grâce à cela qu'il a pu donner à son travail une part plus importante de lui-même.
La
première chose qui me vient à l'esprit quand j'évoque
Franc Jeu ou je devais partager la vedette avec Clark gable, en 1940, c'est
que j'étais complètement terrorisée. C'était
mon premier grand rôle et je n'avais pas encore vingt ans. Me retrouver
face au « roi » m'impressionnait terriblement. J'avais un trac
terrible mais je n'avais pas vraiment peur de lui. J'étais
plutôt dans un état second, me demandant s'il s'agissait d'un
rêve et me pinçait pour croire à la réalité.
Grâce soit rendue à Clark Gable. De même que les autres acteurs, le réalisateur et les techniciens, il avait sûrement remarqué que je tremblais comme une feuille à chaque fois que je devais tourner une scène avec lui... C'est seulement après la fin du tournage que j'ai compris à quel point cet homme m'avait aidée. Sachant combien j'étais intimidée et impressionnée, il me taquinait gentiment, plaisantait, s'efforçait de me mettre à l'aise. Et c'était très important non seulement pour le film mais aussi pour moi-même.
Clark fut très gentil et attentionné avec moi ; s'il m'arrivait de rater une réplique, il me disait : « Ne vous en faites pas, tout va très bien » et savez vous ce qu'il faisait dans ce cas ? Il escamotait, lui aussi, deux ou trois répliques et cela uniquement pour me déculpabiliser. Il lui arrivait aussi de me faire des farces ; j'avais, parait-il, bon caractère !
Connaître
Clark Gable était un privilège. C'était l'homme le
plus délicieux qu'on puisse imaginer. Il était rare et inestimable,
plein d'humour et d'indulgence, un brave « Saint-Bernard »
; tout le monde l'adorait : les hommes, les femmes et les enfants. D'une
certaine manière, on peut dire qu'il forçait le sourire,
peut-être par sa totale absence d'affectation. Contrairement à
la plupart des acteurs de sa génération, Clark n'attachait
pas une importance excessive à son apparence physique. C'était
tout le contraire d'un cabotin.
La différence entre Clark et les autres c'est qu'il était capable de se voir d'un œil objectif ; et toujours avec un certain humour. Il est probable que le spectacle de toutes ces femmes éperdues prêtes à défaillir à sa vue l'amusait, tout en le flattant aussi, bien entendu. Mais il se contentait d'être affable, poli et indulgent. On avait l'impression qu'il regardait cela en spectateur amusé comme si ce n'était pas autour de lui que se pressaient toutes les jolies filles. Il faisait preuve d'une extrême gentillesse dans ces circonstances. Clark ne cherchait d'ailleurs jamais à tirer parti de son extraordinaire pouvoir de séduction et savait parfaitement se contrôler. C'est sûrement ce qui lui valait la sympathie des messieurs. Il était parfaitement vrai et naturel. Et c'était un type terrible !
En
1955, lorsqu'on me chargea de diriger Clark Gable dans Le Rendez-vous de
Hong Kong j'eus une petite appréhension car je craignais de ne pas
obtenir de lui ce que je voulais. Je savais que Gable était l'une
des grandes personnalités de l'écran mais les dites personnalités,
celles de Hollywood en particulier, ont la réputation d'être
de médiocres comédiens. Tel n'est pas toujours le cas, comme
j'ai pu m'en rendre compte avec Clark Gable. Travailler avec lui était
un plaisir ; il en allait toujours ainsi avec les acteurs de la vieille
école. Ce qu'il y avait de remarquable chez ces vétérans
du cinéma, c'était leur discipline. Gable, Spencer Tracy,
Bogart, Van Johnson étaient des gens qui arrivaient toujours à
l'heure et ne se plaignaient que très rarement.
Jamais Gable
ne s'est présenté en retard sur le plateau, mais avec la
même ponctualité il cessait le travail à cinq heures.
C'était la sa seule exigence, celle qui, je pense, lui permettait
de commencer à boire. Car Gable buvait énormément
comme la plupart des acteurs de sa génération, du reste,
auxquels Gable n'avait rien à envier sur ce chapitre. Néanmoins,
jamais il ne buvait pendant le travail et il arrivait tous les matins frais
et dispos. Le soir, par contre, il buvait beaucoup. Un jour, je m'en souviens,
il m'a dit qu'il préférait mourir plutôt que de se
passer d'alcool. Toutefois, le fait de boire ne semble pas avoir affecté
ses talents d'acteur. Plus tard, il éprouva certaines difficultés
dans les scènes un peu longues, mais ceci est une autre histoire
qui n'est pas forcément liée à l'abus de l'alcool
; les dernières années, lorsqu'il était sous pression,
il était pris de tremblements, mais curieusement ce phénomène
n'avait pas un caractère constant et ne se reproduisait que lorsqu'il
était tendu. Par exemple, tout se passait pour le mieux pendant
la répétition mais, dès que nous commencions à
tourner, à l'instant où je criais : « Moteur »,
Gable se mettait à trembler imperceptiblement et si la scène
se prolongeait un peu, le tremblement s'accentuait, ce qui me forçait
à limiter les prises de vues à trois ou quatre répliques.
C'est surtout les gros plans et les plans rapprochés que cela posait
des problèmes, évidemment, car dans les plans d'ensemble
les détails passent plus facilement inaperçus.
Je suppose que cet état de tension était d'origine nerveuse. Mais ce n'est peut-être pas la seule explication. Je n'en sais rien, mais l'on peut penser que le fait d'avoir été toute sa vie un buveur invétéré n'était pas étranger à l'affaire. En admettant même que la fatigue nerveuse ait été seule responsable, Clark avait pourtant une longue expérience de l'écran et des séances de tournage. Je crois qu'il avait confiance en ses talents de comédien. Il ne douta jamais de lui comme d'autres le feraient à sa place.
Nous avons fait ensemble, au Japon, une expérience intéressante. Nous nous étions rendus dans un de ces théâtres où tous les rôles sont tenus par des femmes ; après avoir assisté à une partie de la représentation, le directeur nous conduisit dans les coulisses et nous présenta la vedette du spectacle. Elle portait un costume kabuki et son visage était maquillé de poudre de riz. Elle regarda Gable qui la dominait de plusieurs têtes ; il lui tendit la main, elle la serra. Des larmes jaillirent de ses yeux dessinant dans le maquillage deux longs sillons qui descendaient jusqu'au menton. Elle ne prononça pas une parole, se contentant de le regarder et de pleurer. Il est indéniable que celui à qui arrive pareille aventure ne peut ignorer son pouvoir de fascination sur les gens, sur les femmes en particulier. Je crois savoir que Gable impressionnait également les hommes qui le considéraient, tout le monde le sait, comme l'idéal masculin, et dans ce domaine je ne lui ai jamais connu de rival. Gable avait une très forte personnalité, plus puissante que celle de n'importe quel acteur aussi loin qu'il m'en souvienne, mis à part peut-être Rudolf Valentino. A cette différence près que les pouvoirs de Valentino s'exerçaient uniquement sur les femmes alors que Gable fascinait tout le monde, personne n'échappait à sa séduction. Je crois qu'il a profondément influencé la mode, la façon de penser et, en règle générale, tout le comportement de ses contemporains.