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L'Angleterre à l'époque victorienne. Le conformisme, le puritanisme et la répression sexuelle règnent. Les conventions sociales protègent le pays du chaos.
Alfred Joseph Hitchcock voit le jour à Leytonstone, dans la banlieue de Londres, dans cette société collet monté le 13 août 1899. Il naît dans l'appartement familial situé au-dessus de la boutique de son père. Les parents d'Alfred, William et Emma Hitchcock, sont tous deux de confession catholique mais leurs conceptions de l'éducation divergent. Ils sont très stricts mais en tant que benjamin, il est relativement gâté. Effectivement, Alfred est le cadet d'une famille de trois enfants ; l'aîné, William, est né en 1890 et sa sœur, Eileen, en 1892. D'autre part, il est bon de noter qu'Emma Hitchcock est une femme autoritaire et assez intimidante. De son père, marchand de fruits et légumes, Alfred hérite d'un amour inconsidéré pour la nourriture ce qui explique l'allure rondouillarde qu'il arbore relativement jeune, allure qu'il n'acceptera vraiment jamais.
L'enfant est placé très jeune au pensionnat. Il a cinq ans quand, pour le punir d'une bêtise, son père l'envoie passer quelques minutes au commissariat avec la complicité d'un policier, épisode traumatisant qui servira néanmoins son œuvre quelques décennies plus tard.
Les professeurs du collège Saint Ignatius le marquent également. En 1910, Alfred, alors âgé de onze ans, entre dans cette école jésuite et découvre les châtiments corporels réservés aux garçonnets désobéissants.
Alfred est un gros garçon timide et solitaire, déjà en proie à certaines obsessions. En 1913, à l'âge de quatorze ans, il prend des cours du soir de dessin, de navigation et d'électricité mais à peine un an plus tard, le monde de l'adolescent bascule. En août 1914, l'Angleterre déclare à l'Allemagne, l'Autriche et la Hongrie. William Hitchcock décède quatre mois plus tard.
Agé de quinze ans, Alfred trouve une place dans une compagnie télégraphique. Il prend soin de sa mère, concevant la relation mère/fils comme un lien très fort mais aussi comme une forme de servitude. Tous les soirs, Alfred se rend au chevet d'Emma Hitchcock et se soumet à l'inévitable questionnaire sur sa journée. Dès qu'il a un peu de temps libre, il s'échappe au théâtre. La vie sociale d'Alfred se limite exclusivement à ses virées solitaires au théâtre. Il se plonge également dans la littérature policière et fantastique et lit avidement Conan Doyle et Edgar Pœ.
En 1915, il découvre un autre sujet de fascination : le cinéma. A l'âge de seize ans, il lit les magazines de cinéma et fréquente assidûment les nouvelles salles londoniennes. Trois ans plus tard, inspiré par les feuilletons et les romans à suspense qu'il dévore en grande quantité, Hitchcock écrit une nouvelle intitulée : "Gas". Il y raconte l'histoire d'une femme respectable qui se laisse prendre au piège d'un Paris décadent. "Elle atteignit la dernière marche et vit un bar à vin nauséabond. Des loques humaines des deux sexes s'adonnaient à la débauche et à l'alcool. Puis, ils la virent, tremblante et innocente. Six hommes se ruèrent sur elle encouragés par les cris des autres." L'histoire s'achève sur un coup de théâtre, un procédé narratif qui rendra un jour Alfred Hitchcock célèbre dans le monde entier. "Elle s'enfonçait, s'enfonçait encore..."
Au début des années vingt, Alfred Hitchcock apprend que la firme hollywoodienne Famous Players Lasky Corp. ouvre une filiale à Londres. Son carton à dessins sous le bras, il va présenter des modèles d'intertitres pour les films muets. Le cinéma a besoin d'illustrateurs et Hitchcock est engagé. Il assiste aux tournages et chaque fois qu'on a besoin de quelqu'un, il se porte volontaire. Il n'a toutefois pas l'intention d'en rester là.
En 1921, Alfred Hitchcock rencontre aux studios Alma Reville, une jeune femme de vingt-deux ans qui est monteuse et scénariste. Alma travaille dans l'industrie cinématographique depuis l'âge de seize ans. Comme Hitchcock, elle habite chez ses parents.
Pendant deux années consécutives, Alfred travaille sans relâche aux côtés d'Alma sans oser lui avouer son amour. (Elle avait une place supérieure à la sienne et, à l'époque, cela ne se faisait pas de parler à des femmes qui vous étaient supérieurs)
Enfin en 1923, Hitchcock trouve l'occasion de donner un coup de pouce à sa carrière et à sa vie sentimentale. Alors que Famous Players Lasky Corp. ferme sa filiale londonienne, le producteur Michaël Balcon lui propose du travail. Balcon dirige Balcon, Freedman and Saville à Londres. Le producteur engage ce jeune homme débrouillard pour servir d'assistant au réalisateur fétiche de la compagnie. Cette promotion donne à Hitchcock le courage d'aborder Alma Reville. Il lui propose de monter Woman to woman (La Danseuse blessée, 1923), un film de Graham Cutts et d'accepter un rendez-vous.
En
1925, Hitchcock et Alma partent à Berlin pour travailler sur le
nouveau film de Cutts : The blackguard
(Le Voyou, 1925). Graham Cutts, qui est marié, entretient une liaison
avec une danseuse estonienne. Un soir, il emmène Hitchcock dans
une boîte de nuit où les femmes dansent avec les femmes et
les hommes avec les hommes. Hitchcock contemple stupéfait les ébats
amoureux de deux femmes. Le jeune homme ne comprend pas tout ce qui se
passe mais il sera longtemps hanté par cette scène d'amour
lesbien. Tout à sa liaison adultère, Cutts ne consacre que
peu de temps au tournage et Hitchcock assume de nouvelles responsabilités
; jusqu'au jour où le réalisateur et sa danseuse s'évanouissent
dans la nature. Hitchcock et Alma sont dans l'obligation de terminer le
film en Allemagne, sans le réalisateur.
Sur le chemin du retour, Hitchcock profite d'un moment de faiblesse pour déclarer sa flamme à Alma. Elle accepte de l'épouser.
A
son retour à Londres, le producteur Michaël Balcon demande
à Hitchcock, alors âgé de vingt-six ans, de réaliser
un film sur deux danseuses de revues ; Hitchcock choisit sa fiancée
Alma pour l'assister derrière la caméra.
Ses deux premiers films : The Pleasure Garden (Le Jardin du Plaisir, 1925) et The Mountain Eagle (1926) sortent dans l'indifférence générale. Le réalisateur ne trouve sa vocation artistique qu'en avril 1926 lorsque Balcon demande à Hitchcock et Alma d'adapter un roman populaire : The Lodger (Les Cheveux d'Or / L'Eventreur, 1926), vaguement inspiré des exploits meurtriers de Jack l'Eventreur. Hitchcock est fasciné par les faits divers et l'irruption de la violence dans la vie quotidienne. Pour son film The Lodger, il crée une atmosphère sombre et explore les machinismes de la terreur. Avec une audace sans précédent, Hitchcock fait également une brève apparition dans son propre film. A la sortie du film en septembre 1926, The Lodger et son réalisateur font sensation.
Rasséréné
par son succès, Hitchcock est prêt pour le mariage. Le 2 décembre
1926, il épouse Alma Reville. C'est d'abord un mariage d'amour mais
c'est aussi une association artistique. Les jeunes mariés s'installent
dans l'ouest de Londres. Petite fille, l'actrice Jill Balcon, la fille
du producteur Michaël Balcon, a rendu visite au couple. Son frère
Jonathon également.
Le 7 juillet 1928, au bout de dix-huit mois de mariage, Alma donne naissance à leur fille Patricia. La vie privée de Hitchcock s'articule plus que jamais autour des femmes de sa famille : sa mère, sa femme et maintenant sa fille. Mais hors du cercle familial un autre type de relation s'établit entre lui et les femmes, et tout particulièrement les actrices.
En 1928, suite à une véritable frénésie déclenchée par le cinéma parlant, Hitchcock fait passer une audition sonore à Anny Ondra, l'actrice qui a joué dans un de ses films muets : The Manxman (1929). Son attitude envers l'actrice ne laisse planer aucun doute... Hitchcock fait tourner Anny Ondra dans Blackmail (Chantage, 1929), l'histoire d'une femme qui tue son agresseur et tente d'échapper à la police. Sorti en juin 1929, Blackmail est le premier film parlant britannique et tout Londres ne parle plus que de ça. Hitchcock est acclamé pour son plus grand plaisir.
En 1930, à l'âge
de trente et un ans, il engage une attachée de presse pour gérer
ses interviews avec les médias. Le réalisateur signe fièrement
ses films en faisant écrire son nom sur les affiches et en apparaissant
systématiquement dans chacun d'entre eux.
En 1935, dans The thirty-nine steps (les trente-neuf marches, 1935), Hitchcock régale son public avec ce qui va devenir un autre grand classique du film hitchcockien : la belle blonde glaciale qui cache des trésors de sensualité. Il aime la femme inaccessible, mais qui, comme il aimait à le dire, « se transforme en tigresse dans l'intimité". Il aime les femmes réservées, les choses cachées. Cependant, la belle blonde réservée qui se transforme en tigresse dans l'intimité de la chambre à coucher restera un fantasme. Il ne fera jamais d'avances à ses actrices, pensant immédiatement qu'elles feraient ça pour leur carrière et... quelle humiliation pour sa vanité ! En fait, Hitchcock est profondément mal à l'aise avec sa propre sexualité, si mal à l'aise que le réalisateur affiche sa chasteté dès les années trente.
En 1937, Hitchcock a déjà réalisé vingt et un films. Dans sa filmographie, une comédie côtoie une comédie musicale viennoise. Cependant, ses œuvres maîtresses restent ses films noirs où la vie de gens ordinaires bascule à l'occasion d'évènements extraordinaires. Les atmosphères tendues de The man who knew too much (L'homme qui en savait trop, 1934), The secret agent (Quatre de l'espionnage, 1936) et Sabotage (Agent secret, 1936) font de Hitchcock le réalisateur le mieux payé et le plus célèbre d'Angleterre. Mais le cinéaste a d'autres ambitions. Alors que la menace d'une guerre plane sur l'Europe, il prépare sa petite invasion personnelle de la capitale mondiale du cinéma : Hollywood.
En
août 1937, Hitchcock embarque pour New York. Il est toujours sous
contrat avec son ami le producteur Michaël Balcon mais entend néanmoins
faire les yeux doux aux studios américains. La presse l'accueille
chaleureusement et il rencontre plusieurs directeurs de studios. Néanmoins,
il n'a aucune offre véritable à se mettre sous la dent.
Le producteur David O. Selznick repère en Hitchcock un fort potentiel et passe outre son manque de popularité (Hitchcock était connu en Amérique c'est certain mais bien moins qu'en Angleterre). Selznick a acquis une grande notoriété en produisant des films comme A Star is Born (Une Etoile est née, 1951) et a la réputation de vouloir tout contrôler sur le plateau. Il propose à Hitchcock de signer avec son studio : Selznick International Pictures. Mais les deux hommes mettent près d'un an à s'entendre sur les clauses du contrat. Entre temps, Hitchcock retourne en Europe tourner The lady vanishes (Une femme disparaît, 1938) et Jamaica Inn (l'Auberge de la Jamaïque, 1939).
Il signe enfin avec Selznick en juillet 1938 et au printemps suivant, il fait venir sa famille à Los Angeles. Selznick, de son côté, commence à travailler sur son œuvre maîtresse : Gone with the Wind (Autant en emporte le vent, 1939).
On confie à Hitchcock l'adaptation d'un best-seller de Daphné du Maurier : Rebecca (1940). Selznick imagine une jeune inconnue, Joan Fontaine, dans le rôle principal mais Hitchcock refuse, épaulé par Alma, son épouse et plus fidèle collaboratrice. Alma ne travaille plus avec lui sur les plateaux mais elle continue d'écrire et d'avoir une influence majeure sur les films de son mari. Selznick impose néanmoins Joan Fontaine. Sa décision renforce la détermination de Hitchcock d'être un jour son propre maître.
Le 1er septembre 1939, Adolf Hitler envahit la Pologne. L'Angleterre et la France déclarent la guerre à l'Allemagne. Dans les mois qui suivent, l'Angleterre fait appel à ses meilleurs talents pour réaliser des films et soutenir l'effort de guerre. La presse britannique critique les déserteurs, ceux qui comme Hitchcock travaillent à l'étranger.
Sur
le tournage de
Rebecca, Hitchcock
mène sa propre bataille contre son producteur. (Quand Hitchcock
voyait Selznick sur le plateau, il disait : "Panne de caméra.
On éteint tout." Il espérait que Selznick n'insisterait
pas.)
Hitchcock ne doit pas seulement
affronter Selznick ; la Production Code Administration (appelée
aussi Code de Hays), chargée de veiller au respect de la
morale et des valeurs religieuses, perçoit des connotations lesbiennes
dans la relation de la sinistre intendante avec feu sa maîtresse
Rebecca mais l'astucieux réalisateur sait comment contourner les
règles et se jouer des codes. C'est une version non censurée
de
Rebecca qui sort en mars
1940.
Rebecca obtient onze
nominations aux oscars dont celle du meilleur réalisateur mais c'est
John Ford et ses raisins de la colère qui sont primés cette
année-là. Et quand
Rebecca remporte l'oscar du meilleur film de l'année, c'est
Selznick et non Hitchcock qui reçoit la récompense suprême.
Au lieu de confier un nouveau film à Hitchcock, le producteur décide
de prêter ses services à d'autres studios.
De 1940 à 1943, Hitchcock tourne six films pour d'autres studios. Les studios qui l'emploient verse à Selznick 5 000 dollars par semaine pour ses services. Selznick en reverse la moitié au réalisateur pour salaire, ce qui mécontente Hitchcock. Mais ce dernier déteste les confrontations. L'acteur Hume Cronyn se souvient de l'avoir vu servir d'arbitre sur le tournage de Lifeboat (1943) avec Tallulah Bankhead.
En décembre 1943, son ami Sidney Bernstein alors ministre de l'information le rappelle en Angleterre pour diriger des courts métrages de propagande. Quand Hitchcock retourne aux Etats-Unis en mars 1944, il projette secrètement de s'associer avec Bernstein.
Selznick demande à Hitchcock de tourner un thriller romantique : Spellbounds (La Maison du Docteur Edwardes, 1945). Ingrid Bergman joue la psychiatre qui s'éprend d'un patient soupçonné de meurtre interprété par Gregory Peck. Hitchcock photographie Bergman en déesse nordique. Il est secrètement amoureux d'elle et la rumeur veut que Bergman soit éprise de lui...
Le
8 mai 1945 voit la fin de la seconde guerre mondiale. Cet été-là,
Hitchcock se rend en Angleterre et annonce avec Bernstein la naissance
de leur compagnie de production : la Transatlantic Pictures. Selznick
essaye de retenir son réalisateur prodige. Il propose à Hitchcock
une part des bénéfices sur un film d'espionnage :
Notorious (Les Enchaînés, 1946). Hitchcock accepte
immédiatement sans pour autant renoncer à sa collaboration
avec Bernstein.
Dans Notorious, Ingrid Bergman incarne une espionne passionnée que son amant ambivalent, interprété par Cary Grant, pousse dans les bras de l'ennemi.
Hitchcock a un profond respect pour les femmes et celui-ci se traduit directement à l'écran. Sorti en août 1946, Notorious devient un véritable succès critique et commercial.
Avant de lancer Transatlantic Pictures, Hitchcock a un dernier film à tourner pour Selznick : The Paradine case (le procès Paradine, 1947), un film inspiré d'une célèbre histoire de meurtre. Le mélodrame fait un bide lors de sa sortie le 31 décembre 1947. Le contrat de Hitchcock avec Selznick International Pictures arrive à son terme en avril et le réalisateur refuse de le renouveler. A quarante-huit ans, Hitchcock veut désormais être son seul maître.
Pour leur première aventure cinématographique commune, Alfred Hitchcock et son associé, Sydney Bernstein, choisissent d'adapter à l'écran l'histoire vraie de deux meurtriers.
Dans
Rope (La Corde, 1948), les deux
jeunes gens étranglent l'un de leurs camarades pour la seule volupté
du geste. Puis ils cachent le corps dans un coffre sur lequel ils servent
à dîner à leurs invités. Dans la réalité,
les deux meurtriers s'aimaient et Hitchcock décide de laisser planer
une atmosphère homosexuelle sur son film. En 1948, c'est un sujet
tellement tabou que le réalisateur se contente de faire quelques
allusions évasives à ses acteurs. Hitchcock lui-même
n'a aucun problème avec l'homosexualité. Il avouera même
à un réalisateur homosexuel que s'il n'avait pas rencontré
Alma, il serait peut être devenu lui aussi homosexuel.
Pour
Rope, Hitchcock et Bernstein mettent au point une technique
qui va selon eux révolutionnée le cinéma : tourner
un film en une seule prise, sans montage et sans coupure. Ce qui est impossible
car la bande ne film que dix minutes. Alors, toutes les dix minutes, Hitchcock
est obligé de zoomer sur un objet pour pouvoir faire le raccord
avec la bobine suivante. Il reprend ensuite le plan fixe de l'objet puis
s'en éloigne. Rope
représente bien plus qu'un film pour les deux associés. Devant
les recettes médiocres à l'automne 1948, Hitchcock s'inquiète.
Pour son film suivant, un film d'époque intitulé Under Capricorn (Les amants du Capricorne, 1949), Hitchcock fait appel à Ingrid Bergman qui a fait de Spellbounds et Notorious de véritables succès. Malgré la présence d'Ingrid Bergman, Under Capricorn est un échec commercial. Les recettes sont si navrantes que la Transatlantic Pictures est dans l'obligation d'annuler ses projets.
Forcé
de renoncer momentanément à son indépendance, Hitchcock
signe pour quatre films avec Warner Brothers Studios. Peu avant
le tournage du dernier des quatre, intitulé
Dial M for Murder (Le crime était presque parfait, 1954),
le réalisateur tombe en admiration devant Grace Kelly, une starlette
à la beauté glaciale. Hitchcock ne résiste pas au
défi de faire fondre la glace qui entoure la jeune actrice ; il
lui demande d'être la femme adultère de
Dial M for Murder. Il fait de Grace Kelly une séduisante
sirène et supervise méticuleusement chacune de ses apparitions
à l'écran.
Hitchcock a la main mise sur la
garde robe de Grace Kelly mais pas sur sa vie intime. L'actrice entretient
une liaison avec un homme marié, son partenaire : Ray Milland. Si
le réalisateur est jaloux, il garde son amertume pour lui et engage
une nouvelle fois Grace Kelly pour jouer la séductrice de
Rear Window (Fenêtre sur cour, 1954). James Stewart interprète
le petit ami de Grace, un photographe au repos forcé qui observe
la vie à travers le téléobjectif de son appareil photo.
La tension sexuelle qui entrelace tout le film n'aboutit jamais.
Sortis tout deux en 1954, Dial M for Murder et Rear Window remportent un succès phénoménal. Ni Hitchcock, ni Grace Kelly ne souhaitent arrêter là une collaboration aussi fructueuse. Le réalisateur décide de faire jouer la nouvelle star internationale face à Cary Grant dans To Catch a Thief (La main au collet, 1955). Le tournage a lieu dans le sud de la France, dans la principauté de Monaco. Avec ses paysages de la Riviera et son casting prestigieux, ce film de 1955 est le troisième grand succès consécutif du couple Hitchcock / Grace Kelly.
Hitchcock est persuadé de tenir enfin sa muse. Hélas, en janvier 1956, Grace Kelly se fiance avec le Prince Rainier III de Monaco. Monaco gagne une princesse tandis que le monde du cinéma perd une grande actrice. Hitchcock n'assiste pas au mariage, anéanti à l'idée de perdre son actrice.
Grace
Kelly s'étant retiré à Monaco, Hitchcock se met en
quête d'une nouvelle égérie. Il fait tourner Shirley
MacLaine dans The Trouble with Harry
(Mais qui a tué Harry ? , 1955) et Doris Day dans The Man who knew so much (L'homme qui en savait
trop, 1956) mais aucune des deux ne lui inspire une dévotion semblable.
Faute de trouver son actrice idéale, Hitchcock s'est lancé dans une nouvelle aventure. En 1955, il a signé un contrat lucratif avec une maison d'édition pour lancer un magazine intitulé : Alfred Hitchcock Mistery. Le cinéaste ne participe pas à la rédaction du mensuel mais son nom et son image suffisent à stimuler les ventes.
Lew Wasserman, l'agent de Hitchcock, a de plus ambitieux projets encore. Il est persuadé qu'un feuilleton télévisé accroîtrait la popularité de son client. Au milieu des années cinquante, la télévision ne jouit pas d'un grand prestige artistique mais Wasserman est un homme persuasif. Il n'a aucun mal à vendre son idée à la chaîne CBS. Il s'agit d'une anthologie policière présenté par le maître du suspense en personne. Hitchcock accepte de réaliser quelques uns des épisodes et décide de produire l'émission. Il fonde sa propre maison de production : Channel Productions. L'affaire rapporte beaucoup d'argent : 129 000 dollars par épisode plus tous les droits de rediffusions. Hitchcock s'entoure d'une véritable équipe de talents et trouve également sa muse en la personne d'une actrice inconnue nommée Vera Miles. Il lui fait signer un contrat avec une clause d'exclusivité de cinq ans et confit à une costumière le soin de s'occuper de sa garde-robe. Pas question que sa protégée ressemble à la ménagère du coin.
Hitchcock dirige Vera Miles dans le rôle d'une épouse en pleine dépression nerveuse dans Revenge (Vengeance), le premier épisode d' "Alfred Hitchcock presents". La critique salue unanimement la première diffusion qui a lieu le 2 octobre 1955. L'anthologie télévisée décolle et se place sixième à l'audimat dès la deuxième saison. De nombreux acteurs et réalisateurs prometteurs font leurs débuts dans "Alfred Hitchcock presents" mais le maître du suspense reste la star incontestable de la série qu'il ponctue de ses apparitions savoureuses. La renommée de Hitchcock s'étend même jusqu'au Vatican. Pat Hitchcock accompagne son père à Rome pour rencontrer le pape.
Galvanisé
par son succès télévisé, Hitchcock concentre
de nouveau son attention sur Vera Miles. Il la fait tourner avec Henry
Fonda dans The Wrong Man (Le
faux coupable) en 1957.
Nullement ébranlé
par cet échec commercial, Hitchcock s'attelle à
Vertigo (Sueurs froides, 1958), son projet suivant. Vera Miles
doit incarner une beauté mystérieuse face à James
Stewart. Mais le tournage du film est repoussé à cause des
ennuis de santé du réalisateur. Il souffre depuis treize
ans d'une hernie abdominale et la douleur devient insupportable. Hitchcock
est opéré mais sitôt remis, il est terrassé
par un autre mal. Une nuit, Alma s'affole, croyant qu'il a une crise cardiaque.
Hitchcock souffre en fait de la vésicule biliaire et doit subir
d'urgence une autre intervention chirurgicale. On le séquestre dans
sa luxueuse chambre d'hôpital et on lui interdit formellement de
travailler. Pendant sa convalescence, Vera Miles confie à Herbert
Coleman, le producteur associé de Hitchcock, qu'elle est dans
l'obligation de se retirer du projet : l'actrice est enceinte. Hitchcock
se rabat à contrecœur sur Kim Novak pourtant la plus grande star
hollywoodienne du moment. Les ennuis ne se font pas attendre. Kim Novak
résiste au grand maître et à son besoin maniaque de
superviser le plus petit détail de sa garde-robe et de sa coiffure.
Hitchcock prend un malin plaisir à soigner sa réputation
de metteur en scène tyrannique. A en croire la rumeur, il oblige
Kim Novak à plonger dans une eau glacée à plusieurs
reprises pour une scène de Vertigo.
Bien que Hitchcock dénie le moindre talent à Kim Novak, de nombreux critiques considèrent que Vertigo est le film le plus douloureux et le plus personnel du cinéaste.
En avril 1958, juste avant la sortie en salles de Vertigo, Hitchcock est assommé par une terrible nouvelle : sa femme Alma est atteinte d'un cancer de l'utérus. Tandis que celle-ci récupère des suites de son opération, Hitchcock et sa fille assistent à la première de Vertigo à San Francisco. Alma suit ensuite une chimiothérapie qui la sortira définitivement d'affaire.
Alfred Hitchcock a l'habitude de noyer ses soucis personnels dans le travail. L'été 1958 il concentre tous ses efforts sur un nouveau film d'espionnage North by Northwest (La mort aux trousses, 1959). Cyd Charisse est pressentie pour donner la réplique à Cary Grant mais Hitchcock insiste pour avoir Eva Marie Saint. En quelques retouches habiles, le réalisateur transforme la gamine de On the Waterfront (Sur les quais, 1954) en une réfrigérante héroïne hitchcockienne. Si Hitchcock peut remodeler à loisir ses héroïnes, il n'en va malheureusement pas de même de sa propre image, il est complexé par son poids...
North by Northwest caracole en tête du box office américain, surplombant toutes les productions de l'été 59.
On
pourrait croire que Hitchcock n'a plus rien à prouver mais il redoute
d'être obsolète avec l'arrivée des années 60
et l'ascension des enfants du baby-boom. Il tient à l'idée
de faire un film moderne et choisit d'adapter à l'écran l'histoire
d'un sérial killer du Wisconsin. Il réalise avec Psycho
(Psychose, 1960) une étude de la schizophrénie, un cocktail explosif
de violence et d'érotisme. Le scénariste Joseph Stefano suggère
de faire périr l'héroïne à mi-parcours.
Pour incarner Marion Crane, Hitchcock choisit Janet Leigh, une blonde qui l'a séduit par son mélange d'audace et de sensualité. Antony Perkins sera Norman Bates, le fils qui dirige l'inquiétant Bates Motel. Bates représente bien plus qu'un simple meurtrier pour Hitchcock : pour lui, l'homme craint la femme. Tous les problèmes que rencontrent les deux sexes remontent au fait que le garçon naît d'une femme et doit sortir de l'ombre de sa mère.
Pour la célèbre scène de la douche, Janet Leigh passe sept jours sous l'eau tandis qu'on la filme sous tous les angles. Après montage, la séquence ne durera que trois minutes. Hitchcock va très loin dans la provocation entre la violence de la scène et la nudité de l'actrice.
Hitchcock apparaît en personne dans la formidable bande-annonce. On y voit le réalisateur en guide du Bates Hotel, stratagème qui vise à attirer dans les salles les innombrables fans de sa série télévisée.
Les efforts du réalisateur sont amplement récompensés. Produit pour la modique somme de 800 000 dollars, Psycho engendre 15 millions de dollars de recettes. Ironie du sort, le succès phénoménal du film oblige Hitchcock a renoncé à sa nouvelle muse. Il pense que s'il refait un film avec Janet Leigh, tout le monde repensera à Psycho.
Le
réalisateur ne tarde pas à lui trouver une remplaçante.
En 1961, il repère un mannequin de vingt-six ans dans une publicité
pour un soda. Trois jours plus tard, Tippi Hedren, femme divorcée,
mère d'une fille de quatre ans, est sous contrat. Hitchcock la fait
tourner dans un film à suspense sur des oiseaux qui terrorisent
une petite ville : The Birds
(Les Oiseaux, 1963). Plus que jamais, le réalisateur entend exercer un
contrôle absolu sur son actrice principale.
Pour
la jeune actrice inexpérimentée, le tournage tourne au cauchemar.
On lui jette des oiseaux à la tête. L'un d'eux lui a même
entaillé la joue et elle a fait une dépression à la
suite de cela, d'où les rumeurs sur la misogynie de Hitchcock. Lui-même
fuyait le plateau, ayant peur des oiseaux. Mais la plus grande peur du
réalisateur est peut être de surprendre son propre reflet
dans le miroir... Il a de plus en plus de complexes vis-à-vis de
son physique.
Pour
promouvoir The Birds et la
reconnaissance de son œuvre, Hitchcock emmène Tippi Hedren faire
une tournée dans tout le pays. Hitchcock obtient que la première
deThe Birds ait
lieu au musée d'art moderne de New York en mars 1963. Deux mois
plus tard, le film est projeté en ouverture du festival de Cannes.
Cependant The Birdsn'est
pas le succès commercial et critique escompté.
Alors, en 1964, Hitchcock prend de nouveau son destin en mains et conclue un accord avec MCA Universal. Il cède l'intégralité des droits d' « Alfred Hitchcock presents" à la société en échange de quoi il en devient l'un des plus gros actionnaires.
Hitchcock
est enfin maître de sa carrière, du moins financièrement.
Malgré les défaillances de Tippi Hedren sur le tournage de
The Birds, Hitchcock poursuit
leur collaboration. Il demande au scénariste Evan Hunter d'adapter
le roman Marnie
(Pas de printemps pour Marnie, 1964), l'histoire d'une kleptomane frigide traumatisée
par des violences sexuelles subies pendant son enfance. Hitchcock décrit
Marnie comme un film policier érotique.
Dès le départ, Marnie croule sous les difficultés. Hunter rechigne à écrire la scène de la nuit de noce dans laquelle Sean Connery viole l'héroïne. Hunter finit par écrire deux versions de la scène, avec et sans le viol. Hitchcock lit tout mais vire Hunter peu de temps après. Le réalisateur le remplace par Jay Allen qui elle, écrira la fameuse scène de viol. Par ailleurs, Tippi Hedren est étouffée par Hitchcock qui se montre possessif à l'extrême, sortant bien souvent du simple cadre de leur travail. Il se mêle de sa vie privée, ce qui n'est guère au goût de l'actrice. Au beau milieu du tournage, Hitchcock dépasse les bornes. Le réalisateur interdit à Hedren de faire un aller-retour à New York pour un gala de charité, elle se rebiffe et lors de sa dispute qui l'oppose à son réalisateur, elle fait allusion à son poids, chose qu'il ne permet à personne. Cette remarque rompt définitivement tout lien entre Hitchcock et Hedren. Ils ne se parlent plus que par personne interposée. Le film ne marche pas du tout à sa sortie en août 64 et met fin à leur collaboration. Hitchcock n'avait pas subi d'échec commercial aussi cuisant depuis dix ans.
Son cinquante film, Torn Curtain (Le rideau déchiré, 1966), connaît le même sort. Le réalisateur est terrifié à l'idée de mettre fin à sa carrière sans avoir jamais reçu la reconnaissance de ses pairs.
Enfin, en avril 1968, l'Academy of Motion Picture Arts and Sciences décerne un oscar à Hitchcock pour l'ensemble de sa carrière.
A 69 ans, Hitchcock a l'impression de s'être enlisé dans une routine. Il s'intéresse aux films expérimentaux de jeunes réalisateurs français et italiens. Il met en route Caléidoscope, l'histoire d'un meurtrier difforme et homosexuel. Hitchcock va même jusqu'à rédiger le scénario de Caléidoscope. Le projet comporte une scène de sexe en extérieur qui mêle crûment érotisme et violence. Dans la scène, on devine un couple en train de faire l'amour derrière un buisson ; puis, Hitchcock zoome davantage et le spectateur découvre que l'homme étrangle la femme. Ce n'est donc pas une scène d'amour mais une scène de meurtre. Les responsables des studios Universal sont franchement scandalisés. Ils trouvent ça trop violent.
Lew Wasserman lance alors le réalisateur sur un autre film : Topaz (L'étau, 1969). Topaz est un film d'espionnage adapté d'un best seller. Universal alloue à Hitchcock un budget de quatre millions de dollars, une somme énorme à l'époque, mais le réalisateur n'a ni l'envie, ni la force physique pour s'atteler à la tâche. Topaz est un troisième échec commercial.
Hitchcock choisit soigneusement son film suivant, Frenzy, un roman sur un psychopathe qui viole ses victimes avant de les étrangler avec sa cravate. Il fait de son meurtrier un marchant de fruits et légumes, la profession de son père. Il passe l'été et l'automne 71 à filmer à Londres loin des regards scrutateurs des studios Universal. Il tourne un film ouvertement sadique qui comporte deux scènes extrêmement choquantes pour l'époque : l'une de viol et l'autre de strangulation. Selon l'actrice Anna Massey, l'une des victimes dans le film, Hitchcock développe dans ses films ce qui le hante dans la vie.
Barry
Foster, le méchant de Frenzy,
remarque que le réalisateur maintenant âgé de soixante-dix
ans montre des signes d'essoufflements dans l'après-midi. Alma accompagne
son mari à Londres ; elle a prévu de parcourir l'Europe avec
sa petite fille Marie pendant que son mari finit de tourner Frenzy. Mais à peine arrivée à Londres,
Alma a une attaque. Elle retourne se reposer en Californie. A la fin du
tournage, Hitchcock accourt à son chevet.
Tandis que les médecins s'affairent autour d'Alma, Hitchcock essaye de se distraire en s'occupant de la campagne promotionnelle de Frenzy. Des copies grandeur nature de Hitchcock flottent bientôt sur la Tamise à Londres ; d'autres accueillent les visiteurs des studios Universal à Los Angeles. Mais à sa sortie à Londres en mai 72, le film fait un flop retentissant. Hitchcock est fermement décider à détourner le sort. Le réalisateur s'investit totalement dans la campagne promotionnelle aux Etats-Unis et il multiplie les apparitions pendant plus d'un mois. L'effort sera payant. Quand Frenzy sort en juin à New York, le succès est immédiat.
Tandis
que l'état de santé d'Alma s'améliore, celui de son
mari décline. Il souffre de vertiges. Les médecins décident
de lui poser un stimulateur cardiaque. A 75 ans, Hitchcock n'est nullement
ébranlé par l'opération. Plus que cette opération
au cœur, Hitchcock redoute la perspective de devoir raccrocher. Malgré
sa santé déclinante, il s'attelle au tournage de son cinquante-troisième
film, Family Plot (Complots
de famille, 1976) en mai 1975. Family Plot
est plébiscité par la critique à sa sortie
au printemps suivant. Hitchcock n'a pourtant guère le cœur à
se réjouir car Alma a eu une seconde attaque qui l'a terriblement
affaiblie. Le réalisateur est terrifié et comme toujours,
il s'accroche à son travail. Le scénariste David Freeman
écrit un film avec Hitchcock au cours de cette période difficile.
En 1979, Hitchcock travaille sur The Short Night, un thriller de la guerre froide, inspiré de la brillante évasion de prison d'un terroriste irlandais. L'intrigue politique retient l'attention du réalisateur mais en incorrigible provocateur, il voit surtout dans ce scénario l'occasion de choquer son public en développant les jalons posés par Frenzy, sept ans plus tôt. Mais le tournage du film est en péril, l'arthrite du réalisateur va en s'aggravant.
En mai 1979, trois mois avant son quatre-vingtième anniversaire, Hitchcock informe seulement son vieil ami Lew Wasserman, le président d'Universal, que le tournage de The Short Night n'aura pas lieu. Wasserman fait preuve d'une discrétion qui l'honore.
Pendant ce temps, l'état de santé d'Alma s'empire. Dérouté par le comportement imprévisible de sa femme (elle lui en voulait beaucoup de penser encore au travail et l'insultait pour cette raison), Hitchcock se réfugie aux studios Universal.
En janvier 1980, Hitchcock reçoit la distinction suprême de son pays natal : il est anobli par sa majesté la reine d'Angleterre. Sir Alfred Hitchcock est ravi mais laconique. Peu après la cérémonie, son état de santé l'oblige à s'aliter. Il n'a plus envie de vivre, n'a plus d'appétit.
Le 29 avril 1980, Sir Alfred Hitchcock s'éteint durant son sommeil. A l'instar de son mari qui ne pouvait pas concevoir le monde sans cinéma, Alma ne peut pas concevoir le monde sans lui. Elle meurt en 1982, deux ans après son mari.
L'héritage de Hitchcock, ses 53 films et les 359 épisodes de son anthologie marqueront à jamais ses admirateurs et ses collaborateurs. Le maître du suspense cachait une psychologie complexe derrière une façade soigneusement construite. Ses singularités ont rendu son parcours fascinant. Le fils du marchand de fruits et légumes est devenu une icône dans le monde du septième art. L'art et l'émotion sont indissociables ; Alfred Hitchcock l'a prouvé en sublimant ses hantises secrètes dans des films qui ont à la fois terrorisés et enchantés son public. Son personnage charismatique faisait le bonheur des spectateurs pour son plus grand plaisir...